Pierre Labbre au pied de la plaque inférieure

Enchaînement dans les Écrins

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Antécimes, une quête d’inachevées

Les lumières se tamisent et la route qui nous mène à la Bérarde n’en finit pas de méandrer dans un panorama définitivement addictif. Le trip écrins, imaginé par Mathieu « Mémé » Maynadier, prend fin. La dernière manip de bagnole, avec mon père, reste un moment privilégié. Le corps fatigué et l’esprit embrumé, encore accroché là-haut… Je crois que plus je la pratique, plus je la trouve belle cette Montagne! Toute proche, voici la face NW des Ecrins. Et plus loin, à moitié dévoilée, celle de l’Ailefroide. Avec la Meije, notre périple nous a menés dans le plus sauvage des Oisans.
Lumières rasantes et sommets enneigés, l’herbe grasse et l’ambiance de la Bérarde nous comblent.

Pour mon père, celui qui reste insensible à cette beauté-là a du souci à se faire. Peu de mots mais la sensation d’être privilégiés, submergés par ce lieu. Cette immersion nous a apporté plus que des courbatures. J’explique à mon padre nos variantes, nos approches et nos peines dans ces parois qui se révèlent parfois être des dédales de rochers catastrophiques, parfois des goulottes et des plaquages parfaits.
En passant par la Grave, nous nous arrêtons un instant au soleil. Un doigt pointé sur notre ligne et le sourire aux lèvres. « Tu vois c’est là le crux!» Souvenir de la vibrante dans cette longueur aux plaquages encore trop peu fournis… Alors que le temps se gâte et que les spindrifts s’en mêlent, au moment où le sommet nous échappe, enveloppé dans un mauvais lenticulaire. Le vent a forci et la suite logique semble la fuite à la brèche Zygmondi puis au refuge de l’Aigle. L’idéal, nous l’avions imaginé en remontant les rappels par la voie normale. Cette fin de voie déjà existante nous aurait pourtant permis une ascension plus complète, plus soutenue et plus logique puisqu’elle aboutissait à un sommet. Mais elle obligeait également une descente sur le refuge du Promontoire bien plus longue que notre fuite par les arêtes. Arriver à une heure déraisonnable n’aurait pas été un bon départ pour notre enchainement, il nous fallait voir plus long et donc se réserver pour la suite que l’on savait difficile. Sur les arêtes, vent dans le dos, on sent déjà le festin qui nous attend à l’Aigle. « Eté blizzard » sera le nom laissé à notre passage par cette nouvelle voie de la face nord. Après une nuit passée sur cette aire, bercée par le tapage d’un refuge sans cloisons, heureusement compensée par des gardiens généreux et passionnés, nous repartons pour le bivouac de Bonnepierre. Direction le Serret du Savon puis la Brèche de la Meije. Le temps de faire une pause au Promontoire pour le plus copieux des repas et c’est la méditation de la marche, écouteurs sur les oreilles. Saisir le chemin parcouru et prendre conscience que ce n’est que le début. Sentir déjà les jambes lourdes et se concentrer à nouveau. Demain le réveil sonnera à 4h pour une voie que nous sous estimons encore trop !

Confiance

C’est Sylvain Di Giacomo qui nous rejoint pour la voie « Passy Bonnepierre direct » à la pointe du même nom. Idéal rocheux et raide du cirque, j’imaginais encore une escalade physique où beau caillou alternerait avec plaisir du geste. Que nenni ! Je n’avais pas encore cerné ce qu’Arnaud Guillaume considérait comme étant du « bon rocher ». Avec un nom pareil, j’aurai pu m’en douter! «Pas si bonne pierre » …
On ne compte plus les écailles arrachées à la main à l’endroit où les pitons trainent encore et les longues sections où il faut s’engager bien fort pour arracher une longueur en 6b. Un niveau simplement flagrant nous sépare de cet ouvreur réputé de l’Oisans, voilà tout… Nous avons l’habitude de tirer sur les prises, pas de les pousser vers le haut pour qu’elles tiennent. Cela explique sans doute les courbatures le lendemain matin!
Pendus à trois sur un énième relais plein gaz, consolidé au mieux par six friends couplés, il faut comprendre le degré de confiance que l’on s’accorde en se confiant ainsi nos vies. Hisser le sac et assurer deux seconds dans un rocher à ce point déliquescent oblige un relais irréprochable. Alors quand le leader nous annonce qu’il est au sommet de la longueur, il faut lui confier notre sécurité. Il est surprenant de s’engager à ce point dans la vie de tous les jours. Pour ça aussi la montagne est une expérience unique. La vie mais en plus fort, assurément ! Certes une ascension dans les Ecrins est loin de ce qu’on peut vivre en Himalaya mais l’engagement est là et il faut lâcher, faire confiance, parfois une foi aveugle. Bref, c’est à minuit que nous errons au sommet en cherchant encore la
« Descente facile » qu’on nous avait indiquée. Verdict, rappels droit dans l’axe dans un couloir-éboulis vertical où il faut ruser pour pitonner un relais correct. Et tout cela pour parvenir sur le Glacier Blanc, à l’endroit même où le plus gros sérac de l’Oisans déverse son embonpoint sur qui aura la malchance de s’attarder un peu trop. Une voie qui d’un avis commun pourra être facilement déconseillée.
Autant vous dire que lorsqu’on apparait au refuge des Ecrins pour une nuit qui commence à 4h et qui finit à 7, le manque de sommeil commence à peser lourd. Mais les copains sont bons et nous avons choisi notre situation. La descente sur la Bérarde se passe parfaitement. Nous profitons de l’excellent rééquipement des câbles du versant Bonnepierre du Col des Ecrins et c’est sans danger que nous récupérons notre bivouac. Bien contents que le temps se dégrade pour une journée de repos, nous fuyons à Briançon pour se refaire les batteries et c’est reparti pour la suite du menu.

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L’enfer c’est les autres

Quand Pierre Labbre nous rejoint à la Bérarde, c’est un homme stressé et fatigué par la vie que nous récupérons. Heureusement, une pause dans son overbooking chamoniard va lui faire grand bien…
L’Oisans l’appelle et c’est en citant Sartre qu’il nous relate sa traversée du col du Galibier, paralysée de bouchons en tous genre: « L’enfer c’est les autres ! ». Il ne peut s’empêcher de nous lâcher un petit « Quelle engeance… » lorsque la pluie s’invite à notre montée à Temple Ecrins. Notre fine équipe ne me fait pas regretter une seconde d’être trempé jusqu’aux os et de peut-être buter demain, à la rimaye…
Le réveil à deux heures ne passe pas trop mal et qu’il fait bon hurler dehors, se défouler et espérer que les conditions dans la voie nous permettent de poursuivre notre périple.

Au lever du jour, l’Ailefroide est en vibration, l’ambiance est saisissante avec les spindrifts et le noir de cette nuit sans lune. Nous suivons Mémé dans le départ classique de la voie des plaques, du 4 verglacé pour se réchauffer avant le rappel pour rejoindre la plaque inférieure. Pierre nous remonte cette même plaque en premier de cordée et par un heureux hasard je me retrouve au pied de 4 longueurs de goulotte qui n’attendent qu’à être ouvertes ! Glace et mixte alternent dans un rocher plutôt bon. La raideur de cette variante nous surprend et, de blocs coincés en plaquages pêchus nous progressons tant bien que mal dans cette face magnifique. Un régal bien baston qui nous déposent à 14h à l’embranchement entre la voie des plaques qui fuit à droite et la nouvelle goulotte majeure ouverte par Helias, Tough et Antoine sur la gauche. Sans matériel de bivouac, la sortie dans la goulotte du « Reactor » va nous obliger à grimper de nuit dans du 5+ en glace… Gloups, on a déjà du plomb dans l’aile et il faut se rendre à l’évidence, ce sera trop dur pour nous d’enchainer tout ça… On fuit donc à droite et Pierre s’envoi la longueur en M6 de la voie des plaques en pures plaquages vicieux et délicats. Au relais je ris jaune en le voyant s’élever le long de ces 40 longs mètres de grimpe au mental. Confortablement posé sur ma vire, je ne regrette pas une seconde de faire cette longueur en second. La suite, c’est la sortie au sommet de l’occidentale et une arrivée directe dans la cuisine de Raoul, le gardien du Sélé, pour une fin de trip en douceur, fatigués mais contents…

Nous devions terminés l’enchainement par une voie en face Ouest de Sialouze avec Anthony Lamiche. Notre objectif étant détrempé par la pluie, nous n’avons pas grimpé. Merci encore à Tony d’être monté au refuge. Merci à lui pour son optimisme et sa disponibilité!

Merci à tous ceux qui nous ont aidés, logés et encouragés dans ce trip, les copines, la famille, les copains, les gardiens et bien sûr le GMHM.