Accueil > Expéditions > Les autres expéditions > Lunag Ri- Style Alpin - 6907m
Lunag Ri- Style Alpin - 6907m, Octobre - Novembre 2017
Le Lunag Ri est une montagne encore vierge, située en Himalaya. Elle se trouve plus particulièrement au Népal dans la région de l’Everest mais reste à l’écart des circuits fréquentés.
Son arête Sud-Ouest, très technique et haute de 1200m représente un objectif de premier ordre.
JOBO LE COULTRE : Récit d’ascension
rédigé au camp de base le lundi 23 octobre
Le cumul d’heures passées à scruter les photos de la Face Ouest du Lunag approche la vingtaine, je crois enfin avoir déniché la ligne. Ce tracé maintes fois médité évite habilement les risques objectifs, se joue de la verticalité du secteur, et semble coloré de bleu. Bleue, comme la couleur qui donne à la glace cette consistance parfaite dont tout alpiniste de passage au Népal ne peut que rêver... « Des fleuves » vous dis-je ! Ce temps capitalisé devant l’ordinateur, à l’abri du soleil saharien qui frappe notre camp de base, me conforte dans l’idée d’une voie nouvelle. Peut-être aurais-je du m’inquiéter de l’escalade des isothermes ? Peut-être les grondements répétés en Face Est auraient-ils pu me mettre la puce à l’oreille ?
Nous préparons nos sacs de manière méthodique, sous un soleil de plomb omniprésent. Il est midi ce mercredi lorsque Cyril, Léo et Gaël, nous rejoignent au camp de base. Ils semblent avoir repris du poil de la bête mais leur acclimatation ne leur permet pas de se joindre à nous pour le moment. « Qu’à cela ne tienne » leur lance-t-on, « nous montons vers 6200m demain pour bivouaquer dans la face puis nous redescendrons au camp de base ».
Vêtus de nos simples mérinos One Piece* ; qui nous confèrent pour l’occasion un look peu commun ; suant et trébuchant, nous parvenons à prendre pied sur la moraine du Lunag. Je ne peux m’empêcher d’être pris de convulsions lorsque j’aperçois les traces... prévisibles laissées par l’anticyclone présent sur l’Asie du Sud Est depuis un mois ! A la place de nos tant attendues coulées glacées une crue équivalente à celle de l’Arve semble avoir pris possession de la face ouest du Lunag...Après quelques secondes de concertation, nous passons rapidement au plan B : de la Face Ouest à la Face Nord, du Lunag au Jobo Lecoultre. En 2009, une équipe helvético-népalo- française, rien que cela, avait rejoint le sommet par un itinéraire évident. Etant venus au Népal pas seulement pour regarder les pierres tomber, nous décidons de jeter notre dévolu sur cette montagne secondaire mais néanmoins alléchante. 6478 m où 6589 m selon les cartes, cela nous laisse tout de même plus de mille mètres pour nous exprimer, entre la rimaye et la cime que nous convoitons dorénavant. Sa parure est encore immaculée, l’inhabituelle chaleur présente dans le cirque du Lunag semble avoir épargné cette orientation. Nous posons notre tente au pied du Jobo Lecoultre, et nous attendons patiemment le coucher du soleil puis le regel nocturne propice à sécuriser la zone.
A trois heures du matin, le bal des tractopelles continue dans la Face Ouest du Lunag... En revanche, rien ne semble inquiétant au Jobo. « Ici mieux qu’en face » me dis-je en engloutissant mon Flapjack* réglementaire. Nous remontons le cône et passons la rimaye vers cinq heures du matin. L’altimètre indique 5450 m. Notre allure himalayenne me surprend, lointain est le souvenir de ma dernière trace dans une paroi de neige à cette altitude. Peu après, nous rejoignons l’étroiture du bas de la face. Sur les photos il semblait possible de la contourner par des pentes rive droite. Sur place, nous nous embourbons dans une neige molle, peu encourageante pour la suite. « C’est sur-raide ! » me lance Pierre. Je pense « En effet... » et garde pour moi les trémolos qui auraient accompagnés une réponse directe.
Il est six heures, l’aube se lève seulement. Déjà je me vois dans l’obligation de poser mon sac pour franchir ce premier ressaut glacé vertical. Une corde fine de hissage attachée au baudrier me permettra de le hisser une fois ce crux passé. Des spindrifts* accompagnent mon départ du relais. Entre l’altitude et cet agréable flux glacé qui me parcourt, j’ai un peu l’impression de respirer dans un ziplock*. « Soit ! » me dis-je, « ce n’est qu’un mauvais moment à passer... ». En même temps une insensibilité notoire me saisit les doigts. J’arrive au relais glapissant... Première onglée !
Il est six heures trente et le soleil inonde. Je finis par sortir de ma torpeur et retrouve mes esprits à mesure que le sang revient dans mes doigts en un puissant reflux. C’est une sensation bien connue de ceux qui ont la joie de vivre encore l’hiver dans leur pays. « Rebelote ! » Pour la prochaine longueur, les spindrifts n’ont pas cessé et je me décide à hisser à nouveau mon petit sac. Ce dernier me semblerait bien malvenu sur mon dos lors de l’escalade à venir. La verticalité m’oblige de nouveau à me botter le train. Je rejoins « enfin » une pente de neige et le début de la face. « Quelle histoire ! » est le seul qualificatif qui me vient à l’esprit. Le constat est amer, l’altimètre affiche 5600m, il est sept heures du matin et 900 mètres nous restent à gravir si nous souhaitons fouler le sommet aujourd’hui...
Des bruits bovins me parviennent alors que je scrute la suite des événements. Portant un sac coquettement rempli, c’est avec une rusticité notoire que Pierre se hisse dans ces longueurs déjà exigeantes. La suite de l’itinéraire se couche et nous rentrons dans le thème central de l’alpinisme d’altitude. Trois heures à remonter une rampe enneigée nous secouent physiquement. Nous butons au pied d’un dernier ressaut d’environ 200 m en belle glace bleue lorsque les premières pierres du jour ricochent. Il est dix heures et la neige molle permet d’amortir ces projectiles. Nous décidons de continuer en empruntant le cheminement le plus abrité. Les longueurs s’enchainent, très variées et toujours intéressantes. Les conditions de glace plaisantes nous ravissent. Cette voie est taillée sur mesure pour gouter ensemble aux joies de l’alpinisme technique en Himalaya.
Une dernière longueur de mixte en rocher douteux, où subsistent çà et là quelques cordes fixes reliques de l’ouverture, me permet de déboucher sur un petit col neigeux. Entre soleil de plomb et respiration haletante, un coup d’œil à la suite me démoralise temporairement. 400 mètres de dénivelé nous séparent du faîte et la longueur suivante est fort pentue...
Dans l’idée de notre expédition : la découverte du milieu himalayen, les choses avaient été bien posées à l’avance. Pour Pierre, une tentative se ferait en second seulement, il me reste à prendre la décision de grimper la voie en tête. Sur le papier cette possibilité m’avait paru logique, mais ici, sur ce col suspendu à 6150m, l’idée de prendre un joli vol dans une longueur de neige peu protégeable me rappelle à l’ordre. Pierre me rejoint et nous temporisons. C’est l’occasion de remplir nos thermos et de se délecter d’un Comté très français, rien de tel pour remotiver les troupes. Si nous souhaitons rejoindre le point culminant demain, il nous faut fixer nos deux brins de cordes ce soir dans le terrain qui nous surplombe et redescendre dormir au col. A force de patience et de sueurs froides, pieu à neige en main, nous parvenons tant bien que mal à franchir la partie la plus scabreuse de l’itinéraire. Ce soir nous récupérons bien tranquillement dans notre tente, perchée dans un Khumbu extraordinaire.
Le réveil à quatre heures nous permet de nous préparer puis à l’aube de remonter les cordes fixes. Un terrain beaucoup plus aisé nous accueille. Vers 9 heures, après avoir parcouru une magnifique arête neigeuse guère escarpée, nous parvenons sur le toit du Jobo Lecoultre. La vue sur le Tibet voisin est splendide. Les quatre géants* de plus de huit mille mètres se suivent en une esthétique diagonale. « Ce pays est magique ! » Nous profitons de ces instants particuliers, assis côte à côte au sommet. Le plaisir pur que procure la contemplation du paysage nous laisse un sourire béat.
Mille mètres en rappel nous seront nécessaires pour redescendre de ce bonheur d’altitude et rejoindre, à la nuit le bas de la face. Pour notre cordée, avoir pu grimper cette voie élégante, logique et technique, dans un cadre inimitable nous procure une satisfaction délectable.
Mérinos One Piece : Sous-vêtement technique en laine Mérinos constitué d’une seule pièce.
Flapjack : Gâteau d’origine britannique ressemblant à une barre énergétique.
Spindrifts : Purge de neige qui s’écoule dans un couloir ou le long d’une face.
Ziplock : sac de congélation en plastique refermable par un « zip ».
Nos partenaires sur l'expédition :





Les 6 dernières actualités
Cerro Torre. Arête Sud Est., publié le 29 janvier 2019

Montagne onirique par excellence, le Cerro Torre est le sommet de tous les superlatifs. La (...)
PlusYosemythique, publié le 22 novembre 2018

Cet Automne, le Groupe a choisi le Yosemite comme destination grimpe. La question du « Pourquoi (...)
PlusOU LE VENT NOUS PORTERA, publié le 17 mai 2018

Stage de perfectionnement au snowkite en Norvège
PlusPréparation Groenland 2018, publié le 15 mars 2018

Dans le cadre du raid polaire GCM/GMHM, une préparation de 5 semaines a été effectuée cet hiver. (...)
PlusFosslimonster, publié le 21 février 2018

Le CCH Bonniot, le CHA Billon et Pierre Labbre réalisent l’ascension de Fosslimonster, Gudvangen, (...)
PlusLa Magie des Pirrit Hills, publié le 8 février 2018

Pour évoquer la magie, laissez-moi vous conduire jusqu’au « paradis blanc » puisque du 11 au 20 (...)
Plus