Acte 1: Face Nord du Râteau
L’idée traînait depuis un moment dans nos cartons de projets communs, à Benjamin et moi. La troisième de la cordée se retrouvera embarquée malgré elle dans une aventure qu’elle découvrira pas à pas.
Le début de ce petit voyage commence dans la face Nord du Râteau, nos bottes et nos coinceurs tournent leurs regards vers l’oubliée Fourastier-Madier, seconde voie cotée ED ouverte dans le massif à l’époque, et tristement célèbre pour avoir vu ou fait disparaitre en 1952 le reconnu Victor Chaud, qui pourtant n’avait pas froid aux yeux. La disparition de ce guide parmi les plus habiles de sa génération refroidira nombre de prétendants et entourera la voie d’une aura des plus austères.
JMC, dans son topo, en rajoute une couche : « Cet itinéraire est difficile mais surtout dangereux, car se déroulant dans un terrain particulièrement déliquescent (rocher désagrégé dans la partie médiane, cheminées terminales encombrées d’énormes blocs) … »
C’est donc dans ce contexte que nous sortons bons derniers des entrailles du refuge du Promontoire, sous l’œil bienveillant d’une lune quasi pleine, qui elle se couche.
En plus d’être entourée de cette aura austère, la voie Fourastier-Madier ne se laisse pas approcher facilement.
Il nous faut passer la brèche de la Meije, emprunter le début de l’arête Nord Est qui mène au sommet du Râteau Est, pour ensuite prendre pied et descendre sur les pentes de glace de la voie Ginel-Lotier qui passent sous son inhospitalier sérac.
Enfin, nous voilà au pied de la voie. Au soleil, l’aura austère de cette paroi se désagrège quelque peu, et, de plus, toute la première moitié parait couchée. C’est donc dubitatifs que nous attaquons ces rochers faciles mais brisés, si chers à l’Oisans.
Un léger coup d’œil aux « cheminées terminales encombrées d’énormes blocs » nous fait vite oublier notre arrogance. Benjamin nous conduit au travers du socle ensoleillé jusqu’au pied du raide bastion sommital, fendu par cette longue cicatrice de cheminées. Notre chemin semble limpide.
Benjamin me cède la place à la suite d’une longueur qui lui aura rappelé que les chaussons d’escalade ne sont pas l’outil le plus efficace sur la glace.
J’attaque donc cette fameuse cicatrice pile à l’aplomb de mes compagnons, en réalisant que les topos n’avaient pas affabulé dans leur description sur la qualité du rocher. Tout au long de cette longueur, je m’efforce de tirer avec parcimonie sur ce qui, à cet endroit, est qualifié de « prise ». C’est le cœur serré que je jette quelques coups d’œil en contrebas : mes deux compagnons sont pile dans l’axe des pierres qui pourraient, par inadvertance, se laisser rappeler par la gravité.
Les longueurs suivantes sont tout aussi précaires mais les seconds bien abrités se payent le luxe de jacasser en toute insouciance.
Camille prend le relais, trouve même une portion de bon rocher, et nous tire sur la crête sommitale du Râteau où nous retrouvons les chauds rayons du soleil.
Nous rejoignons le sommet Est du Râteau, empruntons son arête Nord Est que nous avions quittée plus tôt le matin même, de nouveau la brèche de la Meije, et nous réembarquons à bord du Promontoire.
Il nous faut nous reposer, demain la Reine nous attend.
CPL Billon Léo, Védrines Benjamin et Marot Camille.