Introduction
En mai 2002, le GMHM était de nouveau en Inde dans le massif du Garhwal. Cette fois il tentait de gravir un « Big Wall » : l’Arwa Tower (6352 mètres). Ce cycle d’ascensions avait débuté deux ans plus tôt dans la vallée du Yosemite aux Etats Unis. Il s’était poursuivi par une belle réussite en Terre de Baffin sur le Pic Alain Estève en 2001 : 1000 mètres de paroi verticale dans le Grand Nord Canadien. Cette troisième expédition achevait le cycle. Elle représentait aussi une excellente transition pour l’avenir non seulement parce qu’elle se déroulait en haute altitude, mais aussi grâce aux réalisations en escalade mixte effectuées dans le même secteur.
En effet, le GMHM envisage dans un futur proche plusieurs ascensions difficiles sur de très hauts sommets en Himalaya. Celles-ci devraient aboutir à une tentative au K2 (8611 m) à l’horizon 2005.
L’expédition sur le Minya Konka (7556 m) dans le massif du Sichuan constitue la première d’entre elles. La voie envisagée, l’arête sud ouest, n’a jamais été gravie. Elle a résisté à plusieurs tentatives et son ascension est de niveau très élevé. Ce sommet possède aussi une voie normale aux difficultés non négligeable. Ces deux objectifs permettront au grimpeurs du GMHM d’être confronté aux problèmes de la très haute altitude.
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Historique
La découverte du Minya Konka ne date pas d’aujourd’hui puisque la région fut explorée dès 1930 par Edouard Imhof. A peine deux ans plus tard, Richard Burdsall et Terris Moore des Etats Unis gravissent ce sommet par l’arête nord ouest. C’est à cette époque, le deuxième plus haut sommet jamais gravi après le Kamet (7751 m).
L’ascension suivante n’est réalisée que 25 ans plus tard par une expédition chinoise qui se termine par la mort de 4 membres. Ensuite il faut attendre encore 25 ans pour voir une nouvelle ascension par des américains.
A ce jour, seules 18 personnes de 6 expéditions différentes ont foulé le sommet du Minya Konka. C’est dire si ce sommet pose de réels problèmes tant par les conditions météorologiques que par ses difficultés techniques. L’automne paraît être la meilleure saison car 16 personnes sur 18 ont réussi à cette période.
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Le sommet et sa région
La région du Sichuan est située à l’est du Tibet. Le Minya Konka (ou Gongga Shan) est le seul 7000 du secteur. C’est un sommet très excentré par rapport au reste de l’Himalaya. Il représente une destination éloignée des « sentiers battus » du Népal ou du Tibet et reste peu connu de la majorité des alpinistes. C’est le 66ème sommet de la planète.
Bien qu’il soit complètement situé au Sichuan, le Minya Konka marque une frontière culturelle et topographique entre le climat tempéré humide de la Chine (Sichuan) à l’est et l’influence du haut plateau tibétain à l’ouest. Les périodes de mauvais temps sont extrêmement fréquentes et représentent un obstacle majeur pour l’ascension de cette montagne. Nombreuses sont les expéditions rentrées bredouilles sans avoir dépassé les 6000 mètres.
On accède au massif par Pékin, puis Chengdu une autre ville gigantesque de Chine. Deux jours de bus sont ensuite nécessaires pour atteindre Liuba à 3860 mètres, point de départ du trekking. Celui-ci dure trois jours et passe un col à 4560 mètres. A la fin du deuxième jour on atteint le monastère de Gongga Gompa, dernier lieu habité. Le camp de base est situé à 4380 mètres sur des moraines au pied du Minya Konka.
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L’objectif
Depuis le camp de base, deux objectifs majeurs s’offrent aux grimpeurs : l’arête nord ouest et l’arête sud ouest du Minya Konka. La première constitue la voie normale et a été gravie en 1932. Elle remonte tout d’abord des pentes mixtes (avalancheuses en cas de chute de neige) sur plus de 2000 mètres jusqu’à la « bosse de chameau ». Au-dessus, l’arête battue par les vents, présente des pentes raides et exposées.
La voie que nous envisageons sur l’arête sud ouest débute par des pentes mixtes en versant nord jusqu’à 5900 mètres. Celles-ci permettent de rejoindre l’arête qui présente une section effilée et aérienne jusqu’à 6400 mètres. Ensuite cette arête disparaît dans une face mixte très raide juste sous le sommet. C’est la clé de l’ascension : du mixte très difficile à plus de 7000 !
De plus, si les conditions le permettent, nous envisageons un vol en parapente depuis le sommet avec une voile de montagne légère.
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Les hommes
– Le Capitaine Antoine de CHOUDENS, 33 ans
– Le Capitaine Thomas FAUCHEUR, 29 ans
– L’Adjudant-chef Philippe RENARD, 39 ans
– L’Adjudant Laurent MISTON, 34 ans
– Le Sergent-chef Laurent CARRIER, 31 ans
– Le Sergent François SAVARY, 28 ans
– Le Caporal-chef Grégory MUFFAT-JOLY, 31 ans
– Le Chasseur Emmanuel PELLISSIER, 27 ans
– Le Médecin des Armées Jérôme BLAISE, 35 ans
En base Arrière :
– Le Commandant Thierry BOLO, chef du GMHM, 38 ans
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Le calendrier
– 09 septembre 2002 Vol Paris-Chengdu pour les précurseurs
– 11 septembre 2002 Vol Paris-Chengdu pour le Groupe
– 13 septembre 2002 Transfert Chengdu-Kandging (2500 m)
– 14 septembre 2002 Transfert Kandging-Liuba (3860 m)
– 15 septembre 2002 Trekking de 3 jours, camp de base (4380 m)
– 18 septembre 2002 Installation du camp de base et acclimatation
– 21 septembre 2002 Acclimatation sur le Nochma (5575 m)
– 28 septembre 2002 Premières tentatives sur le Mynia Konka
– 15 octobre 2002 Démontage et nettoyage du camp de base
– 16 octobre 2002 Trekking de retour
– 19 octobre 2002 Transfert Liuba-Kandging
– 20 octobre 2002 Transfert Kandging-Chengdu
– 22 octobre 2002 Vol Chengdu-Pékin
– 24 octobre 2002 Vol Pékin-Paris
Carnet de bord
Le départ
14 octobre 2002
C’est le départ, la météo ne nous a pas permis de faire une nouvelle tentative. Après notre retour, comme par hasard, il s’est mis à neiger.
Au matin un beau manteau blanc de plus de 30 cm recouvrait le camp. Au-dessus, difficile de voir encore des rochers tellement c’était plâtré. Petit à petit, les pentes se sont purgées, mais un peu tard. Si ce matin le temps était au beau, les nuages se sont depuis installés et il neige à nouveau. Nous ne sommes plus que 4 au camp de base avec une dizaine de charges. Les autres sont déjà descendus au monastère. Le camp sera plié demain. Nous serons le 17 à Changmuju, le 19 à Chengdu et quelques jours plus tard de retour en France.
Au revoir à tous et à l’année prochaine.
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Le sommet
09 octobre 2002
Enfin ! Trois jours de montagne et réussite du sommet pour Antoine !
Journées riches en rebondissements, vécues comme un marathon. Tout à commencé par la nuit de samedi à dimanche, particulièrement froide : pas un nuage dimanche matin ! Un anticyclone semble s’installer, il faut en profiter.
Conscient de notre acclimatation imparfaite (personne n’a dormi au-dessus de 5350 m) et pensant que la météo stable ne sera que de courte durée, nous décidons de tenter le tout pour le tout en trois jours alors que l’usage courant recommande cinq jours pour le sommet. Départ prévu dimanche matin pour Antoine, François, Philippe et les deux Laurent. Greg et Manu suivront lundi avec une journée de décalage. Nous passons la première nuit à 5700m sur un replat en dessous de l’arête ; le temps se maintient au beau fixe.
Lundi matin nous remontons une longue et fastidieuse arête culminant à 6400m. De là il faut redescendre sur le col au pied de l’arrête terminale par un rappel de 50m. Nous passons la nuit au col vers 6300m. Au-dessus de nous, l’arête s’étire interminablement, le sommet paraît proche mais nous savons tous qu’il reste encore 1200m à faire d’une traite.
Petit contact radio avec Jérôme (le docteur) au camp de base : le baromètre a encore monté. Réveil à 1h du matin mardi, départ un peu avant 3h, la nuit n’a pas été bonne pour tout le monde. Le début de l’arête en neige se déroule plutôt bien. Vers 6800 m nous croisons un bel emplacement de bivouac ; il fait assez froid et certains doivent s’arrêter pour se réchauffer les pieds, la neige ne porte pas trop et il faut tout de même faire la trace. Ça souffle pas mal, les 15 jours passés au camp de base se font sentir. Thomas est le premier à renoncer vers 6900 m avec un début de MAM. Laurent C., Philippe et François font demi-tour vers 7100m : la suite de l’arête, plus technique, demande lucidité et forme : nous ne sommes pas encordés et ce qui a été gravi doit être redescendu en autonomie, il faut donc en garder sous le pied.
Laurent M. armé de son parapente s’arrête vers 7400m laissant Antoine atteindre seul le sommet vers 10h. Laurent rejoindra le col vers midi une heure avant Antoine. A les voir arriver, il semble que ça n’a pas été une partie de plaisir : la fin de l’arête comporte des passages rocheux et des pentes de neige assez raides. Pour Antoine, ce sommet est « engagé, avec une descente difficile à négocier ».
Au col nous nous préparons pour le retour. François reste avec Laurent M. assez fatigué, Greg et Manu s’installent pour tenter le sommet le lendemain. Mais après un léger mieux, Laurent présente tous les symptômes de l’œdème pulmonaire, il faut redescendre en vitesse. Ceux qui sont encore au col (Antoine, François, Greg et Manu) prennent les choses en main. Il faut d’abord franchir les 50 mètres de mur au-dessus du col ce qui ne sera pas une mince affaire. La suite de la descente se passe bien avec une arrivée à la nuit au camp de base vers 20h et un bon coup de pouce du doc. sur la fin.
Ce matin tout le monde va bien, Laurent a passé une bonne nuit et a déjà retrouvé sa bonne humeur. Il fait beau, certains parlent déjà de remonter là haut.
Sentiment d’inachevé ?
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Une journée ordinaire
06 octobre 2002
Ce matin, concours de bonhomme de neige avec les membres de l’expédition norvégienne. Nous avions 15 cm de neige au camp de base et beaucoup plus au-dessus avec de nombreux déclenchements naturels d’avalanches…
Petite surprise du matin : notre beau tipi s’est écroulé pour la deuxième fois. Le mat s’est tordu et la tente s’est « avachie ». Explication : le mat supporte tous les efforts, que le poids de la neige accentue. Il suffit qu’il se torde un peu pour que tout s’écroule. Il est 18 heures et il n’a pas encore neigé aujourd’hui, un exploit ! Le soleil a bien chauffé les pentes, il faut qu’il gèle cette nuit. Entre belote et lecture, nous prions pour que le ciel reste clair !
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Tentative
03 octobre 2002
Enfin le beau temps ! Pas de panique, réfléchissons… il y a encore beaucoup de neige sur la montagne mais voilà presque un mois que nous sommes ici et les créneaux de beau ce sont faits aussi rares qu’un bon bain chaud ! Deux assauts du Minya Konka se dessinent.
Voie normale : depuis le mardi 1er octobre Philippe, François, Laurent et Laurent M. sont au camp 1 à 5350 m. Objectif : installer le camp 2 à 6200 m pour y dormir le mardi 2 octobre au soir. Antoine et Thomas doivent les rejoindre. Nuit étoilée, absence de vent, le regel est bon ; départ mercredi matin à 7h. La première pente au-dessus du camp 1 était en bonnes conditions : neige dure sur de la glace, parfait ! Mais plus haut les difficultés ont entamé les hostilités. En tête, Philippe et François progressaient de plus en plus doucement, passant de temps en temps à travers la couche superficielle ; en sondant avec un bâton, il y avait plus de 1,50m de neige pourrie et humide sous leurs pieds… Subitement François s’est arrêté en entendant un bruit sournois sous ses semelles. Inclinaison 35°, ça sent mauvais, toute la pente est ébranlée. Au-dessus, il restait 300 mètres à parcourir ; les alpinistes ont préféré rebrousser chemin à 5600 m en marchant sur des œufs. Retour au camp 1, frustrés mais vivants. Il faut se rendre à l’évidence, l’accès à la crête est encore trop exposé. Mieux vaut descendre. Laurent M. (le bouddha volant) à rejoint le camp de base par les airs en 35 mn d’un vol fabuleux… et économique pour les genoux.
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La déprime
30 septembre 2002
La déprime gagne peu à peu chacun de nous : pas grand chose de nouveau, le temps est stable dans le mauvais, chaque jour nous avons notre lot de précipitations. Hier, au gré d’une éclaircie, nous en avons profité pour faire une photo du sommet avec tous les membres du GMHM pour fêter sa réapparition (nous ne l’avions pas vu depuis une semaine !). Dès l’après-midi, les nuages ont repris le dessus et il s’est mis à pleuvoir.
Dans le courant de la semaine Laurent et Thomas sont malgré tout montés dormir à 5350 m au camp 1 sur la voie normale. D’après eux, la suite de l’itinéraire pour gagner l’arête vers 6000 m est très chargé en neige. Après deux nuits là-haut et quelques dizaines de centimètres de neige en plus, ils sont redescendus avec peu d’espoir pour la suite.
Depuis, tels les irréductibles gaulois, nous attendons l’anticyclone salvateur sans lequel il sera bien difficile d’espérer approcher le sommet du Minya Konka.
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Prières
25 septembre 2002
Nous ne savons plus quoi faire pour que le beau temps revienne. Le cook a préparé un feu avec quelques branches de genévrier. Il a fait des offrandes de nourriture. Manu a été promu au rang de Lama et il prie.
Si ça ne marche pas demain on essaye le sacrifice humain. Sinon, nous sommes parfaitement acclimatés pour disputer les championnats de France de belote coinchée.
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Visite insolite
24 septembre 2002
Un trekker tchèque est venu nous rendre visite. Il voyage seul à travers les montagnes, sans porteur. Drôle de rencontre alors que nous pensions être seuls !
L’humidité de la région n’est pas une légende. Le sommet est couvert de givre en permanence et des nuages remontent régulièrement la vallée pour déverser sur le camp une bruine épaisse et froide. Ce matin tout est blanc autour de nous, il neige par intermittence mais la couche augmente. Peu importe, nous nous acclimatons. Il ne faudrait pas que ça dure quand même ! Le moral et la santé sont bons pour tout le monde.
Kaman (le cook de Katmandou) a enfin un kitchen boy local pour l’aider. Ils nous ont gratifiés d’un superbe gâteau au chocolat pour l’anniversaire de Philippe hier soir.
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Mise en jambe
23 septembre 2002
Manu et François sont partis sur le Gomba à 5600 m et les autres ont fait le choix du Nochma (5575 m). La météo était correcte, seuls quelques nuages masquaient encore le Minya Konka.
Laurent a décollé en parapente dans un cri de joie pour se poser quelques minutes plus tard au camp de base. Un vol splendide selon ses dires.
Au sud, nos yeux rencontrent une magnifique chaîne de montagnes de laquelle émerge une remarquable pyramide semblable au Cervin ; un objectif futur ? A l’ouest, l’immensité du plateau du Sichuan nous subjugue, les collines et les vallées se succèdent à l’infini…
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Vue sur le sommet
22 septembre 2002
La neige tombe au camp de base depuis ce matin. La couche s’épaissit d’heure en heure et toutes les velléités de sortie sont dissipées. Demain peut être…
Le camp de base (4400 m) est en place depuis 4 jours maintenant. La vingtaine de porteurs que nous avions réussis à dégoter au monastère a mis 4 jours pour monter nos 72 charges. En fait la plupart des hommes des villages sont actuellement occupés à construire une école, d’où leur faible nombre à pouvoir nous suivre.
Dès le premier jour, certains ont fait de petites excursions autour du camp dont une à 4975 m sur un point dominant le camp. La vue était superbe, mais malheureusement un nuage couvrait le sommet…
Au programme du lendemain : petit sommet neigeux d’acclimatation pour tous.
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Arrivée au camp de base
19 septembre 2002
Nous voici arrivés à l’emplacement du camp de base, un alpage au pied de la voie normale du Minya Konka. Jusqu’ici nous avons passé les nuits chez l’habitant et avons même eu la chance de dormir dans un surprenant monastère bouddhiste peuplé en tout et pour tout de deux moines.
Le portage des charges s’est effectué à dos d’hommes pour cette dernière journée de marche. Les 700 m de dénivelé parcourus aujourd’hui nous ont amenés à 4380m d’altitude. Toutes les charges ne sont pas encore arrivées, nous espérons pouvoir compter dessus dès demain matin.
A priori nous allons devoir partager le camp de base avec une tribu de lapins ; certains envisagent déjà de réduire leur densité de population…
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Nouveau départ
16 septembre 2002
C’est reparti ! Après un été assez court, nous sommes de nouveau sur la route, destination la Chine, objectif le Minya Konka (7556m). Pour l’instant tout se passe bien. Contre toute attente, les formalités se sont très bien passées et nous n’avons pas perdu de temps.
Après deux jours de route à partir de Chengdu (capitale du Sichuan), nous avons atteint le point de départ du trekking. Un petit village perdu où la population a plutôt le type tibétain, les maisons sont massives pour résister aux rigueurs de l’hiver : construites sur trois étages (étable, vie, grenier), on peut trouver quelques similitudes avec la Savoie d’antan. La population est très accueillante, pas encore « pervertie » par l’arrivée massive des touristes.
Ce matin après les inévitables discussions concernant la répartition des charges, nous avons pu prendre le chemin avec une armée de chevaux. Les paysages sont superbes. Trois heures de marche plus tard, nous avons passé un col à 4650m en baskets pour passer la nuit dans le village suivant. Au passage Laurent s’est offert un petit vol en parapente depuis le col histoire de tester sa voile et d’économiser ses genoux : succès garanti auprès de la population. Il est désormais surnommé le « Bouddha volant ». Plus que deux jours de marche pour atteindre le camp de base.
Le sommet du Minya Konka, fidèle à sa réputation, ne s’est pas encore départi des nuages qui l’entourent.