En 1984, lorsque Patrick et François ont l’audace de s’élancer dans cette paroi nichée dans le versant dit « himalayen » du Mont-Blanc, ils prennent la décision de ne pas emmener de spits. L’issue sera le long des fissures, ou ne sera pas !
Entendez « himalayen » de par la présence de séracs protubérants, qui menacent l’accès de la paroi.
A croire que dans l’imaginaire collectif, l’Himalaya se résume à marcher sous des séracs !
Ces séracs ne sont pas à sous estimer, et ont déjà provoqué des émotions fortes a plus d’un!
Pour notre part, ils étaient de toute évidence en congé le jour de notre passage, ce qui ne fut pas pour nous déplaire.
Lorsqu’on entend parler de « Divine Providence », les superlatifs pour flatter la qualité de la voie ne manquent pas. À en entendre certains, on se croirait au Yosemite.
Pourtant, quand j’entame les premières longueurs de rocher au lever du jour, vers 5h, le Yosemite me paraît bien loin…
Le sable et le gravier glissent et crissent sous les semelles de mes chaussures et quelques névés récalcitrants viennent humidifier le tout.
On chemine entre zone de bac à sable, contournement de névés et longueurs au rocher des plus douteux.
Il faut progresser avec délicatesse pour préserver l’intégrité physique de ses seconds.
Entre séracs et sable, le mythe se laisse désirer !
Soudain, ma frontale toujours vissée sur mon casque vient buter sur quelque chose de surprenant.
Je lève la tête, intrigué, pour apercevoir ce qui vient de troubler ma progression sur ce terrill. Du rocher orange et gris d’un seul tenant se dresse au dessus de ma tête… Enfin !
En plus du granit compact du bouclier de Divine Providence qui nous surplombe, deux Niçois viennent s’ajouter au tableau.
En ce moment, ça se bouscule sur le versant himalayen du Mont-Blanc.
L’itinéraire paraît à présent pur et limpide, seul le spit placé lors de la première hivernale en solitaire en 1993 par Alain Ghersen, dénote dans l’authenticité de la voie.
Étrange pratique que de s’élancer avec de quoi mettre des spits dans une voie ouverte sans aucun renfort de ceux-là !
Quelques pitons symbolisent les relais, que l’on ne se prive pas de renforcer au vu de l’histoire des lieux.
Imaginez-vous à l’ouverture, François franchissant la longueur déversante avec le matériel d’époque. Heureux et certainement soulagé de s’extraire du vide de cette longueur, plantant solidement un piton Lost arrow (numéro 7 d’après ses souvenirs) pour confectionner le relai, et ajoutant à cela un bon câblé pour le finaliser.
Intimant à Patrick qu’il pouvait commencer à remonter sur la corde pour déséquiper la longueur.
Alors que Patrick entamait sa remontée, François, par acquis de conscience, rajouta un friend (un de ceux à la barrette rigide du bon vieux temps) pour renforcer son relai.
Lorsque Patrick arriva au niveau du dernier point avant le relai et que celui-ci céda, Patrick fut entraîné dans une chute en balancier, qui provoqua un choc sur le relai.
Choc qui fit sortir le câblé et le piton composant ce dernier !
La « Divine Providence » voulut que la cordée fut retenue et suspendue par l’unique friend que François venait de rajouter.
A la suite de cette mésaventure, l’un des ouvreurs souffrait d’une douleur aux côtes l’empêchant de grimper en tête et la corde, endommagée, fut amputée en son milieu. Cela ne leur laissait donc plus qu’une seule solution d’après l’un des ouvreurs: sortir par le haut.
A ce moment-là, nos préoccupations à nous semblent plus légères… Va-t-on enchaîner en libre ?
Il y eut un temps, en 1990, lors de la presque première ascension en libre par Alain et Thierry, où cela représentait une ascension marquante et une belle preuve d’audace. Mais à présent, il semble que les barrières psychologiques et la banalisation de ce genre de cotations dans la communauté alpine, versent dans le commun la réalisation de tels itinéraires en libre.
Si la gloire par l’enchaînement nous est inaccessible, il nous reste toujours la quête de satisfaction personnelle.
Les cotations, aussi banales soient-elles, nécessitent dans leur style de rester attentif et appliqué pour parvenir à cette petite gratification intrinsèque de ne pas se faire rattraper par l’apesanteur.
Mais ces tergiversations sont de courte durée. À peine une dizaine de longueurs, que déjà l’on rechausse nos souliers d’alpinistes, et bientôt même nos crampons.
A présent, jusqu’au sommet du Mont-Blanc, la question de la chute n’est plus en option, elle aurait ici des conséquences dramatiques.
Si de la belle et pure escalade s’y trouve, le ratio marche, risques objectifs, mauvais rocher et terrain montagne versus grimpe paraît clairement défavorable pour un grimpeur.
À ne pas s’y tromper, on se trouve réellement en présence d’une magnifique ligne d’alpinisme complet.
Cpl Billon Léo