Deux ans après son ouverture exceptionnelle en Face NW de l’Ailefroide, celui qui deviendra le père fondateur du GMHM est à pied d’œuvre.
Ce 10 Fevrier 1971, il forme avec Georges Nominé une cordée au mental d’acier. « A fond dans l’esprit de compétition » écrira-t-il plus tard. Une période où les pages des premières hivernales sur les voies les plus logiques des Alpes restent à écrire. Une période aussi où le piolet technique ne fait qu’une timide apparition, où il faudra surtout compter sur ses ressources intérieures pour sortir de cette lame de granit d’un kilomètre de haut.
Au dessus d’eux, l’éperon Croz, première voie déflorée dans la face nord. Là encore, une génération les sépare des pionniers, Martin Meier et Rudolf Peters, qui parcoururent les 1100 mètres de l’itinéraire en 1935…
Au chaud sous nos Gore Tex, un œil sur le cardio qui enregistre nos moindres faits et gestes, ces 44 années écoulées nous font sourire. A 8h du matin, collés serrés dans l’attente de la première benne, le cliquetis du matériel dernière génération, les sonneries d’Iphone. Notre ascension n’a évidemment rien de comparable à celle de nos aïeux. Pourtant nous grimperons sur leurs traces, nos mousquetons se clipperont sans gêne dans leur pitons, enfoncés au cœur de l’histoire de cette face incroyable, il y a presque un siècle !
Et l’intérêt est bien réel, la motivation est palpable, l’appréhension, présente. S’engager dans la face nord des Jorasses en hiver est une belle aventure, même en 2015 avec des broches de 91 grammes. À en juger sur ma montre qui m’indique un pouls de 120 alors que je sors de la benne. Une appréhension bien présente vous dites ? Nous redescendons au plus vite une vallée blanche gorgée de mauvais séracs pour se retrouver enfin seuls dans cette fin d’hiver. On nous avait mis en garde, la face sera bondée avec le créneau de grand beau…
Finalement la trace restera à faire au pied des Jorasses ce Mercredi 18 Mars. L’Adjudant Chef Bohin s’y colle, franchissant la rimaye du Croz vers midi. Le temps est parfait, les conditions dans cette partie droite de la face sont dignes de l’automne. Les raides dièdres du bas de l’itinéraire nous offrent leurs veines glacées que nous remontons pleins d’entrain. « Dément ! »
Le soleil pointe son nez vers 16 heures, à l’emplacement de bivouac que nous avions projeté initialement. Deux longueurs nous séparent du névé médian. Nous aurions tort de nous en priver. Je me permets donc de griller la politesse au Caporal Chef Ratel pour m’élancer dans un magnifique 3c fort enneigé. « Une piste de ski de fond mal damée » selon Seb Bohin. Une piste qui me demandera malgré tout quelques efforts non négligeables ! Deuxième pic d’appréhension quand il ma faut m’élancer dans la longueur suivante. Etant donné ma prestation dans du 3c, que va donner le 5a, en dalle qui plus est ?
C’est finalement une heure plus tard que je peux enfin faire relais, suant et haletant, au pied du névé médian. Une longueur cruxiale dans de fines coulées glacées m’aura donné du fil à retordre ! Nous en profitons pour pousser encore une centaine de mètres à corde tendue alors que le soleil s’éclipse derrière les Périades. Le regard de lynx de mes coéquipiers nous sauvera d’un « bon bivouac sur broche » pour un trois pièces avec vue. Seb Ratel se charge du terrassement de manière exemplaire alors que nous faisons de l’eau avec l’autre Seb. Décidément, Gabarrou avait raison, « une ascension est une fête ! » et nous célébrons notre chance d’être allongés tous les trois dans la face nord.
Le réveil à 4h nous tire d’une nuit récupératrice. Un rapide petit déjeuner et nous voilà à pied d’œuvre alors que l’aube se lève. Seb Ratel s’élance dans de magnifiques goulottes et nous voilà rapidement au névé supérieur. Il garde son rôle de leader et réalise encore les belles longueurs de l’arête au sommet du Croz. Les quantités de neige tombées nous font penser à l’escalade en Alaska. L’ambiance est saisissante mais la neige nous ralentit quelque peu dans ce terrain. Finalement nous échangeons à nouveau les rôles 100 mètres sous le sommet. Seb me laisse le privilège de grimper un beau ressaut raide en glace fine pour enfin empoigner l’arête sommitale par la « sortie de droite ».
Des bonnes conditions de neige nous permettent de gagner le refuge de Boccalate à la tombée de la nuit. Nous refaisons le match autour d’une bonne soupe avant de rejoindre notre dortoir bien mérité.
Le lendemain pour notre redescente sur Plampincieux nous profitons du spectacle. Entre mer de nuage, éclipse de soleil et rencontre avec l’Adjudant Moatti qui est venu nous porter des Cocas après avoir récupéré nos skis au pied de la face nord… Que demander de plus ?
Merci à vous pour ces beaux moments.
1ère Classe BONNIOT