Avec Sébastien Bohin et Cédric Périllat, nous attendions impatiemment un créneau suffisant pour se lancer dans la 3eme hivernale de la voie Manitua à la Pointe Croz des Grandes Jorasses – 4110 mètres, Chamonix –
Après que notre routeur Yann Giezendanner nous ait confirmé une petite semaine de beau, nous nous lançons dans la préparation de nos sacs : des vivres pour 5 jours, du matériel pour escalade artificielle et surtout des habits chauds. Le tout réparti en 3 sacs de 25kg. Ainsi, l’approche par la Vallée Blanche puis le glacier de Leschaux se révéla plus laborieuse que prévue.
Après avoir laissé nos skis et nos chaussures, nous attaquons la voie à 14h00. Les 350 premiers mètres en mixte (neige et rocher), bien que pas très techniques, sont délicats à cause de nos gros sacs. Nous arrivons juste à la tombée de la nuit au pied du bastion rocheux pour bivouaquer. Le manque de neige de cette année nous oblige à tailler des petites marches où nous dormirons assis.
Réveil matinal à 4h30. Nous nous lançons dans la partie purement rocheuse, la plus délicate. Pour évoluer dans une telle paroi en hiver, il faut avoir recours à l’escalade artificielle, lente et laborieuse. Ainsi, en fin de journée, nous n’avons gravi seulement 200 mètres. A 18h00, nous trouvons l’écaille dans laquelle nous comptions nous installer. Ce soir, le bivouac sera plus confortable, nous pourrons dormir quasiment allongé.
Au troisième jour, la fatigue commence à se faire sentir. Cependant, pas question de se lever plus tard. Le prochain lieu de bivouac se trouve 200 mètres plus haut et il nous reste la longueur la plus difficile à passer. A 16h30, Cédric se lance dans cette dernière longueur rocheuse du bastion.
Bien décidé à ne pas remplacer un spit cassé, il se suspend délicatement à un piton seulement enfoncé de 3cm. Puis, se redresse à l’aide d’un crochet simplement posé sur une petite aspérité du rocher. Après s’être rétabli, nous le rejoignons et arrivons à 21h au 3eme bivouac. Pendant que mes compagnons de cordée s’acharnent à tailler une marche dans une glace vive, je fais ronronner le réchaud pour faire de l’eau. Minuit et demi, extinction des feux.
Conscient de l’obligation de sortir le soir même au vue de la météo, nous ne relâchons le rythme lors de cette 4eme et dernière journée d’ascension. Les longueurs s’enchainent bien mais le poids des sacs et la fatigue générale nous usent progressivement. Signe de mauvais de temps : le vent se renforce à l’approche du sommet. Les 60 derniers mètres particulièrement difficiles nous demanderont nos dernières forces.
Arrivés au sommet, nous voulons laisser exploser notre joie. Mais comme bien souvent en alpinisme, la descente reste délicate et il ne nous reste seulement 2 heures de jour.
Après 6 rappels, nous prenons pied sur le glacier avec la tombée de la nuit. Nous avançons, enfoncés jusqu’à la taille dans une neige molle au milieu des crevasses. Cédric se fera notamment une frayeur lors d’une chute de 10 mètres dans une crevasse. Enfin, nous courrons à travers un dernier couloir exposé aux séracs pour atteindre le refuge côté italien à 22h30 pour un repos bien mérité.
Sébastien Ratel.