C’est une équipe de 4 hommes qui a réalisé le déplacement en complète autonomie. La durée a été de 55 jours, du 28 février au 25 avril 1996. Les difficultés rencontrées ont été celles qui étaient attendues :
– Chaos de glace importants et uniformément réparti sur l’ensemble du parcours,
– Dérive des glaces présente mais n’engendrant pas un handicap trop grand,
– Rencontre fréquente de bras d’eau libre dus à la dérive, obligeant à de longs détours ou à transformer les pulkas en canoës,
– Jour blanc (« White Out ») durant 18 jours qui a beaucoup gêné les marcheurs dans l’orientation du déplacement.
Il est à noter que la moyenne des températures régnant sur l’Arctique à cette période a été de 15°C supérieure à celle des années précédentes. De même, si le vent a été présent de façon presque permanente, aucun blizzard n’est venu arrêter la progression.
En 1996, 5 expéditions sont parties vers le Pôle Nord, toutes avec l’ambition de l’atteindre sans ravitaillement. Seul le GMHM l’a atteint. Ce raid au Pôle Nord permet d’offrir à la France la troisième place dans la course au Pôle Nord en autonomie.
Parcours
Cette expédition au Pôle Nord entre dans le cadre des expérimentations aux grands froids du Groupe Militaire de Haute Montagne depuis 1994. L’objectif est de rallier le Pôle Nord depuis les terres les plus septentrionales de la Sibérie sans ravitaillement, soit une distance de 1000 km en tirant des pulkas chargées de 130 kg au départ. Nous avons préféré partir de Sibérie alors que le Canada ou le Groenland ne sont qu’à 700 km du Pôle car la banquise semble être moins chaotique dans cette zone et sa dérive est plus favorable.
Il faut savoir que le Pôle Nord est situé sur l’Océan Arctique, celui-ci gèle en automne formant une croûte de glace appelée la banquise. L’épaisseur de la banquise peut atteindre plusieurs mètres, elle est soumise aux courants marins ainsi qu’à l’action du vent, et donc elle bouge ! La dérive due aux courant est assez faible, de l’ordre de quelques mètres par jour ; nous l’aurons de trois quarts dans le dos du côté sibérien. Par contre, le vent peut faire dériver la banquise de 10 à 20 km par jour lorsqu’il souffle en tempête. Il arrive donc qu’on se retrouve sur une sorte de tapis roulant et qu’en fin de journée la position GPS soit la même que le matin, voire qu’on ait reculé. De plus, il se crée des fractures dans cette croûte. Les plaques ainsi formées peuvent s’écarter (il y a dans ce cas des bras d’eau libre) ou bien elles se chevauchent : ce sont les crêtes de compression, elles peuvent mesurer jusqu’à 10 mètres.
Très peu d’expéditions modernes se sont aventurées dans ces régions et les connaissances sur le plan de la survie dans ces milieux sont très faibles. C’est pourquoi nous avons effectué des expériences dans trois domaines : le matériel, l’adaptation du corps humain au grand froid et la ration alimentaire dans ce type de milieu lors d’un effort important.(voir le dossier raid polaire)
Le 28 février 1996 un hélicoptère de l’Aéroflot nous dépose à l’un des points les plus au nord de la Sibérie. C’est le Cap Artichewski au nord des îles Zemlya Sebernaya.
La température sur l’Océan Arctique est moins basse que dans des zones continentales comme la Sibérie ou l’Antarctique. Cependant nous avons atteint un record de -38°C.
La température moyenne du moins de mars est de -32°C alors que celle du mois d’avril est de -25°C.Le soleil est très bas sur l’horizon et il ne peut nous réchauffer. C’est très différent de la haute montagne où l’on » cuit » au soleil même lorsque la température à l’ombre est très basse. De plus, le vent augmente la sensation de froid c’est le facteur » wind chill « . En effet, lorsque le vent souffle, la température ressentie par le corps humain est beaucoup plus basse que celle lue sur le thermomètre. Ainsi, à -42°C, et par un vent de 20 km/h, la peau gèle en moins d’une minute.
Nous marchions entre 8 et 10 heures par jour, effectuant 7 pauses de 5 à 10 minutes pour boire et manger.
Nous avons été confrontés à de nombreux types de terrains tous plus difficiles les uns que les autres. Les crêtes de compression peuvent mesurer de quelques centimètres à plusieurs mètres de haut. L’entraide était souvent nécessaire afin de franchir ces obstacles.
La banquise recèle de nombreux pièges, car ces blocs cachent parfois l’eau et, souvent nous avons mouillé nos chaussures qu’il fallait faire sécher au réchaud le soir dans la tente, gaspillant ainsi notre précieux carburant. Si l’eau pénétrait trop profondément dans le chausson, nous risquions les gelures.
Les journées de grand vent, ces crêtes se formaient sous nos yeux, provoquant des grincements sinistres lorsque les blocs se frottaient les uns aux autres ou le bruit d’une locomotive à vapeur lorsqu’ils s’amoncelaient.
Le deuxième problème majeur sur la banquise est » l’eau libre « . Même lorsque les températures sont extrêmement froides, l’eau de mer met plusieurs heures pour geler. Il s’offre à nous trois possibilités. Nous pouvons contourner l’eau, la franchir ou attendre.
Dans certains cas nous avons dû marcher plusieurs heures perpendiculairement au nord avant de pouvoir franchir un » bras d’eau « . La perte de temps et d’énergie est énorme !
Lorsque la zone à franchir est assez étroite, il est possible de fabriquer un pont avec les pulkas.
Lorsque le » bras d’eau » est plus large (jusqu’à 50 mètres environ), on peut assembler deux pulkas afin de former un radeau et ainsi naviguer. Un système de téléphérique permet au suivant de récupérer l’embarcation. On utilise les pelles à neige comme rames et elles permettent aussi de briser la fine croûte.
Dans les cas extrêmes, nous avons attendu une nuit entière que l’eau regèle ou que le » bras d’eau » se referme par l’action de la dérive.
Le 25 avril 1996 après 55 jours de marche, nous avons enfin atteint le Pôle Nord alors qu’il ne nous restait qu’une demi-journée de nourriture. Le moment où l’on reste sur ce point mythique de la planète est bien éphémère puisque avec la dérive de la banquise on s’en éloigne rapidement. Cependant la joie est intense et l’on ressent comme une sorte de délivrance.
La conquête du Pôle Nord
Année | Nationalité | Nom et moyens de locomotion |
1908 | USA | F. COOK, chiens de traîneau |
1909 | USA | R. PEARY, chiens de traîneau |
1968 | USA | R. PLAISTED, motoneige avec ravitaillements |
1969 | GB | W. HERBERT, chiens de traîneau avec ravitaillements |
1970 | Italie | G. MONZINO, chiens de traîneau avec ravitaillements |
1978 | Japon | K. IKEDA, chiens de traîneau avec ravitaillements |
1979 | URSS | D. SHPARO, à pieds, traîneau avec ravitaillements |
1982 | GB | R. FIENNES, motoneige avec ravitaillements |
1984 | Finlande | J. KAUMA, à pieds, traîneau avec ravitaillements |
1986 | USA | W. STEGER, chiens de traîneau avec ravitaillements |
1986 | France | J.L. ETIENNE, à pieds, traîneau avec ravitaillements |
1987 | Japon | S. KAZAMA, moto et motoneige avec ravitaillements |
1988 | URSS | D. SHPARO, R. WEBER, à pieds avec ravitaillements |
1989 | Japon | M. IZUMI, motoneige avec ravitaillements |
1989 | GB | R. SWAN, à pieds, traîneau avec ravitaillements |
1990 | Norvège | B. OUSLAND, E.KAGGE, à pieds, traîneau avec ravitaillements |
1991 | Corée | Y. HOU CHOI, à pieds, traîneau avec ravitaillements |
1992 | Canada | MAC DOWELL, à pied, seul, traîneau sans ravitaillements |
1994 | Norvège | B. OUSLAND, à pieds, seul, traîneau sans ravitaillements |
1995 | Russo-Canadienne | R. WEBER et MALKOFF, à pieds, traîneau sans ravitaillements (aller-retour au pôle) |
1995 | Pologne | KAMINSKI et MOSKAL, à pieds sans ravitaillements, coté canadien |