Petit déjeuner de champion dans le coffre de la voiture, il est minuit et demi. Le temps d’un thé et nous partons pour un (long!) voyage. Cette montée à Monzino, on commence à la connaître. Après une première expérience de « one push » l’an dernier, l’envie de retourner se marcher sur la langue dans ces belles montagnes est plus forte. Comme d’habitude on a vite oublié les difficultés d’une entreprise comme celle ci.
Partir de la voiture avec pour prochain refuge le Gouter, de l’autre côté de la montagne, est une expérience assez grisante. C’est stimulant parce que, pour une fois, on part en montagne sans avoir les bretelles qui s’impriment dans les épaules. On part comme si on allait grimper en falaise. Cela rend la marche d’approche bien plus agréable. Le sac est minimaliste, avec ce qu’il faut de matériel et de nourriture, en essayant de viser au plus juste. Les chaussures de montagne sont celles d’un célèbre skieur alpiniste, le pic à glace est celui d’une course de neige facile. La corde d’attache, de diamètre 8,6 mm, correspond à ce qui se faisait de mieux il y a peu de temps en matière de corde à double! Seuls les crampons de 10 pointes et une bonne fournée de friends semblent coller avec l’idée de grimper les quelques 4500 m de dénivelés qui nous séparent du toit de l’Europe, par des voies rocheuses soutenues.
En cas de problème en revanche, le « light » peut avoir un certain poids. La pharmacie est minimaliste. Pas de bivouac prévu donc pas de sac de couchage, ni vêtements chauds. Malgré cela les prévisions météo sont très fiables. Rien à voir avec une hivernale d’une semaine où les grands régimes anticycloniques peuvent se décaler et laisser place à une tempête imprévue. A 24 heures près, les prévisions frôlent à chaque fois les 100% de réussite. La température, le vent, l’état du ciel… Les incertitudes s’envolent et le poids du sac s’en ressent.
Il est 3 heures du matin, nous avançons comme des fourmis sur le glacier du Frêney. Nous sommes perdus dans ce paysage gothique, avec ses piliers de granit immenses et ses séracs luisants sous les feux de la pleine lune. Petits dans cette immensité on se sent humble, mais c’est aussi une grande prétention que de vouloir escalader ce versant par un itinéraire tout au superlatif. Encore une fois, la montagne est un paradoxe!
Notre premier morceau du jour se découpe au dessus de nous. L’Aiguille Noire de Peuterey et sa classique Ratti-Vitalli nous tendent les bras. Derrière nous se dresse, encore inenvisageable, le sommet du Mont Blanc de Courmayeur.
Plus beaucoup de surprises dans cette voie que nous avons déjà parcourue en repérage une quinzaine de jours plus tôt. En trois « longueurs » réalisées à corde tendue, nous arrivons au pied du bastion sommital. Avec seulement un 6a et 25m d’artif, cet itinéraire s’immisce à merveille dans l’impressionnante face ouest. 3h30 après avoir quitté la rimaye, nous embrassons la vierge et serrons la pince à notre ami Mathieu Détrie, grand guide, qui réalise ici l’Intégrale de Peuterey avec son client. Nous délovons notre brin de dynema et nous enchainons sur les rappels.
Deux heures plus tard nous déambulons sous le cagnard, entre les crevasses, au pied de la Gugliermina. La fatigue commence à poindre, il nous faut récupérer l’eau de fonte et faire le plein de nos bouteilles. Attaquer à cette heure peu habituelle une face rocheuse semblable à celles qui peuplent l’Oisans Sauvage est une idée peu orthodoxe. Les risques de chute de pierre y sont plus importants, il faut accélérer le pas dans le socle. Malgré quelques erreurs d’itinéraire pour quitter les vires Schreider, nous gagnons malgré tout sans encombre le fil du pilier. La ligne de la voie est sans équivoque. Ce diable de Giusto a visé le fil à plomb et il va falloir s’employer pour le suivre. Les longueurs de V/V+ s’enchaînent sans repos. Le rocher, bien que plutôt solide, réclame malgré tout une vigilance accrue. La préhension classique ici, c’est la pince! Les fissures ne sont pas légion et l’escalade est plus engagée que dans la Noire. Une belle face et une voie digne du Grand Gervasutti!
Le plaisir d’évoluer sur ce pilier est partagé. Protégés des pierres par la verticalité ambiante, nous profitons de l’escalade athlétique. Seule une longueur vraiment mouillée dans le haut de la voie nous oblige à serrer un peu plus les dents. Le soleil vient de disparaitre derrière l’arête du Brouillard, les doigts s’engourdissent. Au relais, comme des plants de tomates, nous nous collons à la paroi pour emmagasiner cette énergie gratuite enfin restituée par le rocher rouge. Encore un peu d’escalade et nous rejoignons le sommet de la Pointe Gugliermina. Une heure plus tard, nous voici sur la trace accueillante de l’Intégrale.
Sur l’arête en demi lune, la luminosité diminue et les nuages rosissent. Les Jorasses, elles, se subliment. Le panorama est grandiose. Mise à part le fracas régulier des séracs, la Montagne semble s’éteindre. Presque plus de bruit. Seulement celui de nos piolets et de nos pas. On se sent libres et seuls dans cet espace démesuré, c’est une sensation simple et agréable. 3 rappels sur la Blanche et nous sommes cueillis au Col de Peuterey par un vent qui nous rappelle à la réalité. Le temps de se brûler les lèvres avec une soupe bien méritée et nous continuons notre route vers l’arête de neige de Peuterey. Encore 900 mètres de dénivelé à gravir le long d’une des plus belles arête du coin. Sous la pleine lune, le cadre est grandiose. Nous adoptons un petit rythme en s’interdisant les pauses. Juste une petite à mi chemin histoire de vider la bouteille d’eau dans nos gosiers desséchés.
Il est 2 heures quand nous rejoignons la meringue du Mont Blanc de Courmayeur. Un bon réta dans la neige et d’un coup, tout ce versant immense est derrière nous. La calotte sommitale scintille droit devant. Personne au sommet, le privilège des lève tôt!
Merci Seb.