Ecaille épique, 1000m, 90°, M6, A1, ouverture hivernale en face Nord des Droites, par Patrick Pessi, Rémy Sfilio et Sébastien Ratel.
Alors que le balai incessant des cordées (dont j’ai fait partie la semaine dernière) dans la Ginat en face Nord des Droites battait son plein, nous avons vécu une aventure bien différente pour atteindre ce même sommet.
Pour remettre les choses dans l’ordre, il faut reprendre l’histoire quinze ans auparavant. Patrick y réalisa l’ascension du pilier Messner en hiver. L’œil agar, il repéra alors une ligne de rampes et de dièdres, à droite de celui – ci, qui débouchait dans la partie terminale de l’éperon Tournier. En bon « renard », il se garda bien de le crier sur les toits d’une vallée où tout se répand très vite…
Au printemps dernier, l’idée le travaille, il décide de faire une tentative avec Jérôme Para. La goulotte du bas n’étant pas formée, ils attaquent légèrement à droite. Après quelques pentes, les premières difficultés s’annoncent : 2 longueurs de dry les amènent au premier bivouac 4 étoiles. Le lendemain il neige, très motivés ils poursuivent sur deux longueurs délicates toujours très dry… Mais la neige s’accumule, ils renoncent et calent en rappel.
Ce début d’hiver anticyclonique, ne pouvait pas mieux tomber pour une seconde tentative. Cette fois la cordée est composée de Patrick, Rémy et moi-même. Nous partons selon les conseils de Patrick avec de quoi faire deux bivouacs et une soupe en rabe « juste au cas où »… Nous prenons la première benne des Grands Montets mardi 1er Février.
Cette fois la goulotte de départ est formée, nous la remontons sur 4 longueurs, avec en prime un joli ressaut étroit à 90°. Nous rejoignons la pente, puis le bivouac par les deux longueurs de dry déjà grimpées au printemps dernier. Après une bonne nuit, bien qu’un peu frisquette, nous continuons, cette fois le temps est au beau fixe. Ces longueurs au réveil nous donnent le ton, du vrai dry à protéger, difficile à lire. Nous avançons doucement, au dessus Patrick se lance dans l’inconnu. Le rocher se redresse encore mais les fissures suivent… Puis je prends la tête, un premier ressaut de quelques mètres est grimpé en artif par une fissure bouchée. Nous débarquons au niveau de la première tour. La suite est plus mixte, mais toujours aussi soutenue. Nous fixons ma dernière longueur et terrassons pour le bivouac, il sera nettement moins confort et très venté… Nous avons parcouru seulement 6 longueurs aujourd’hui, l’idée d’un troisième bivouac est déjà dans nos tête, il faudra se restreindre en nourriture.
Le lendemain Rémy attaque, l’escalade est toujours très soutenue et délicate. Enfin nous sortons dans une pente, delà deux solutions, soit traverser et rejoindre par un rappel pendulaire le pilier Messner. Soit sortir droit dans le mur de la seconde tour, qui semble très compacte sur une dizaine de mètres. Patrick vote pour l’élégance et tente de forcer la fameuse dalle. Du bas nous le voyons en pleine dalle avec ses piolets à la main, c’est invraisemblable. Mais en fait, il y avait une petite écaille, juste assez décollée pour y glisser les lames et quelques aliens. Un court réta en artif et nous voilà au pied d’un superbe système de fissures. Nous les remontons majoritairement en dry et sortons sur la dernière partie de l’éperon Tournier. La nuit nous cueille et nous terrassons une arête de neige pour pouvoir nous asseoir. Le lendemain c’est clair il faudra sortir, nous n’avons plus de nourriture et le froid nous attaque de plus en plus.
Je m’y colle, au bout de deux longueurs nous sommes obligés de faire un rappel pour reprendre l’arrête en face Nord. L’escalade est moins difficile mais les grosses corniches la rendent laborieuse et exposée. Enfin nous pouvons couper et rejoindre la fin de l’arrête par des pentes de glace versant Nord. Vers 18 H nous sommes au sommet, contents, affamés et congelés. Nous basculons en face Sud, à l’abri du vent.
Après une petite dizaine de rappels que nous avons rééquipés, nous pouvons prendre pied sur le glacier de Talèfre. Les conditions de neige conjuguées à notre état nous empêchent de rejoindre le refuge du Couvercle. Nous buterons à 150 m de dénivelé de celui- ci laissant derrière nous l’idée d’une nuit au chaud. Heureusement avec la fatigue nous ne cherchons le sommeil. Enfin le lendemain après un dernier thé, nous rejoindrons le Montenvers via la mer de glace, béton à souhait avec cette drôle de météo.
Sébastien RATEL
Topo de notre nouvelle voie aux Droites « Ecaille épique »
17 mars 2011
Bonjour,
Vous trouverez ci-joint le tracé, ainsi que le descriptif d’écaille épique.
Cette voie ouverte cette hiver par Rémy Sfilio, Patrick Pessi et moi même.
Elle se déroule entre le couloir Lagarde et l’éperon Tournier.
Sébastien RATEL