Puscanturpa : El Juego Summando
2 septembre 2016
Sommet : Puscanturpa Est (5442m) face Nord.
Nom de la voie :« El Juego Sumando »
Cotation : ED / 400m / 7b max – 6b obligatoire.
Face Nord du Puscanturpa Est, nous sommes maintenant au pied du mur. Nous avons rêvé de cette face, avons imaginé cette ascension. Combien de mètres de cordes ? Combien de pitons ? Combien de temps pour atteindre le sommet ?
Toutes ces questions vont trouver des réponses dans les prochains jours.
Ce premier contact visuel avec l’objectif est fort en émotions et en réflexions. Il faut d’abord trouver une ligne d’ascension et se pose la question : Par où passer? : Entre ces orgues basaltiques, en remontant la cheminée offwidth, en rejoignant la vire par ce pilier rouge ? Dans tout le cas, cette première vue nous motive et nous impressionne vraiment. Les 200 premiers mètres sont très raides et il va falloir sortir les mains des poches pour atteindre le sommet !
Dimitry reviens sur la genèse du projet :
« Pour le choix d’une expédition, il n’est pas toujours évident de trouver un projet pour une groupe comme le GMHM. Concernant le pays, cela n’a pas été très difficile. Le Pérou et particulièrement la cordillère Huayhash possède de nombreux sommets qui correspondaient à notre cahier des charges : des montagnes plutôt rocheuses avec une envie d’ouverture et d’inconnu. Notre choix s’est orienté sur le Puscanturpa Est car sa face nord était vierge. Notre idée était donc d’ouvrir un itinéraire en escalade artificielle et d’essayer de le libérer à une altitude assez élevée.
Ensuite pour notre équipe de 4 grimpeurs, il fallait une ligne et une stratégie permettant à chacun de s’exprimer et d’évoluer en sécurité. Le tout dans un état d’esprit commun d’amitié et de dépassement de soi. »
Le 15 Aout nous avons installé notre camp de base au lac « Seruacocha » à 4818m, altitude du Mont Blanc pour la comparaison!! Les 15 jours suivants on été marqués par la même routine :
1h d’approche dans la moraine et les éboulis pour arriver au pied de la face.
Remonter les cordes fixes en place.
Trouver un itinéraire en artif’
Préparer la voie pour une future escalade libre.
Depuis le début de l’expédition, nous fonctionnant comme une seule cordée, même si elle est composée de 4 grimpeurs. Toute l’équipe « bosse dans le mur » que ce soit pour ouvrir la voie en escalade artificielle ou pour renforcer les relais avec des spits, nettoyer les longueurs en enlevant les plus gros blocs instables…
Tous les soirs, nous nous laissons glisser vers le bas sur les cordes fixes, retournons au camp pour mieux recommencer le lendemain.
Arnaud raconte la phase ouverture en artif’ :
« Durant toute l’acclimatation je n’ai eu de cesse de me répéter « vivement qu’on soit au pied du Puscanturpa et qu’on commence à taper sur des pitons. » Je ne croyais pas si bien dire ! Le piton s’est révélé être le pire ennemi des orgues basaltiques. Ces pièces hexagonales larges de plus d’ 1m et longues de 10 à 30m propageaient les ondes de chaque coup de marteau jusqu’à l’assureur pétrifié. Les pitons d’acier dur que nous avons par la suite soigneusement évités, faisaient travailler la roche comme le coin qui cherche à fendre le bois. Mais ces fissures souvent bouchées, ne nous laissaient que peu de choix, le repos mental venait du bon friend ou du crochet ! Au plus fort de la tension, nous avons passés 4h pour gagner 15m…
Mais ce que je retiens de tout cela, c’est la manière avec laquelle on apprivoise une face vierge. D’abord l’incertitude totale, puis l’appréhension du rocher neuf, enfin au fil des jours comme des ouvriers déterminés nous comprenons la matière, la logique des fissures, les détours de la ligne de faiblesse. Au bout de 10 jours nous sommes heureux de regarder cette belle ligne que la nature nous a laissé réaliser. Avec le temps, c’est peut être cette face vierge qui nous a apprivoisé… »
Vendredi 26 Aout :
C’est notre 8eme jour d’ouverture dans le mur. Les cordes statiques ont été posés jusqu’au pied du bastion terminal. Soit 300m de remontée à la Jumar entre orgues basaltiques, toits et blocs instables…
Il nous reste une centaine de mètres pour atteindre le sommet du Puscanturpa Est et ses 5442m. Cyril bataille en « artif’ » dans une dernière longueur raide avec un dièdre peu commode et un caillou plutôt moyen. Il atteint l’arête sommitale et fait un « bon » relais sur 2 spits. Arnaud parvient à libérer en tête cette longueur évolutive et pense à un 6b. Il nous reste 40m d’arête facile sur un rocher vraiment pas bon.
13h. Nous sommes tous les 4 au sommet et profitons de la vue panoramique. Un coucou au Camp de base, un autre au Siula Grande où les collègues sont aussi en train de s’escrimer et nous ne tardons pas à descendre. Il faut aller se reposer un peu au camp avant le prochain gros morceau : l’enchainement en libre de toutes les longueurs !
Une fois de plus nous fonctionnons comme une seule cordée. Peu importe que ce soit Cyril, Dim, Arnaud ou Tonio qui enchaine en tête la longueur, il faut que ce soit un membre de l’équipe. A chacun sa longueur, son petit combat personnel pour grimper léger et détendu, malgré l’altitude et le rocher un peu farceur.
La 5 eme longueur, celle du dièdre « offwidth » qui nous aura pris 2 jours en escalade artificielle est finalement libérée à 7b qui sera également la cotation retenue pour la longueur suivante avec un passage très bloc sur petites réglettes. Les premières longueurs sont entre 6b et 6c, avec du 6b obligatoire, confirmant le caractère de la voie.
Cyril revient sur le travail en libre des longueurs :
« La plupart de la voie a été préparée pour l’escalade libre. En effet, de nombreuses longueurs ont subi un petit nettoyage. Blocs, écailles et prises instables se sont retrouvés au pied de la face. Une fois la longueur un peu nettoyée, place à la pose de protections : câblés, pitons, friends ou spits. Pour placer ces derniers au tamponnoir, il nous faut presque une demi-heure. Ils sont donc rares dans les longueurs ! Viens ensuite le déchiffrage, quelques traits de magnésie pour les bonnes prises de pieds et de mains. Une fois toutes ces manoeuvres effectuées, nous pouvons gouter au plaisir de l’escalade libre. Au minimum, 2 grimpeurs enchainent la même longueur pour confirmer la cotation. Les longueurs délicates de la partie raide sont estimées entre 6b et 7b mais très agréables à grimper en libre ! »
L’objectif est atteint. Nous avons ouvert une voie dans cette face vierge du Puscanturpa Este. Cerise sur le gâteau, nous avons réussi à grimper en escalade libre toutes les longueurs. Une voie très typée montagne qui devrait ravir les répétiteurs en quête d’aventure et d’un rocher fantastique pour l’escalade libre.
Au delà du côté sportif, nous avons été comblés par cette aventure humaine. Tous ces moments pendus dans le vide, à se faire confiance et compter les uns sur les autres, resteront gravés dans nos têtes.
Enfin pour le nom, « el juego sumando » c’est : le jeu des additions. Un jeu de cartes que notre cuisinier peruvien nous a enseigné au camp de base, mais aussi un jeu d’addition comme peut l’être l’escalade de bigwall. Chaque jour quelques mètres de progression qui nous rapprochent du sommet. Chaque jour quelques risques en plus sur ces orgues instables, mais tout en restant un jeu…
Cpl Antoine Bletton