Les Picos de Europa (pics d’Europe) qui se situent à mi-chemin entre Biarritz et la Corogne, doivent leurs noms aux marins venant de l’ouest. Navigants à vue, « los Picos » étaient les premières terres qu’ils apercevaient à l’horizon.
Le Naranjo de Bulnes en est le sommet phare pour les amateurs d’escalade. Il culmine à 2519m et présente une face ouest verticale de 550m de haut. Son rocher calcaire est d’une qualité exceptionnelle promettant de belles envolées en terrain d’aventure et en escalade libre.
Un refuge est stratégiquement placé au pied de la face Ouest et permet de rayonner dans tout le secteur.
Nous relevons une dernière fois la météo avant de prendre le volant. Grace à un indic de choix, nous savons que les conditions sont réunies pour aller y grimper. Note indic c’est Alain Chastan. Mon ami de longue date. C’est un redoutable rochassier avec qui j’ai partagé de nombreuses courses en montagne. Le hasard fait bien les choses, il est justement en vacances dans le défilé de la hermida, vallée qui jouxte le « Parque National Picos de Europa ». Je lui propose de nous rejoindre afin de pouvoir former 2 cordées autonomes. Antoine et Dimitry grimperont ensemble tandis que je partagerai la corde avec Alain.
Les 2h30 de marche pour rejoindre le « Refugio de Urriellu » permettent à Antoine et Dimitry de faire connaissance avec Alain. Visiblement l’humour pratiqué dans le ministère des armées est parfaitement compatible avec celui apprécié dans l’éducation nationale!
Jeudi 3 août, voilà nos 2 cordées au lever du jour au pied de la face Ouest. La motivation est à son comble pour s’élancer dans la voie « Gizon berri bat naiz » qui veut dire « Soy un hombre nuevo » pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue Basque. Le choix n’a pas été compliqué: Lors de la préparation de ce séjour Thierry Perrillat, dit « Pétiole », avait affirmé à Antoine que cette voie fut une des plus belles de toutes celles qu’il avait pu grimper. Venant de sa bouche, cela nous laisse rêveur !
C’est une voie de 550m, 7b+ max, équipée de spits qui demande à être complétée par un jeu de C4 (#1 et #2 doublés). Les longueurs difficiles sont équipées, par contre les longueurs en 6a, 6b doivent être protégées par nos soins.
Nos deux cordées se suivront dans cet itinéraire vraiment majeur. En plus, pour ne rien gâcher, la voie est de plus en plus belle au fur et à mesure de l’ascension. Même la fin, qui reprend les 3 dernières longueurs de la directissime de 1974, est magnifique. Des 5sup de 50m dans des murs compacts ponctués de trous qui accueillent nos coinceurs mécaniques : un véritable bonheur !
Même la descente qui se fait sur l’autre versant est agréable.
À 20h, le repas est servi au refuge. Copieux et peu coûteux, nous nous en accommodons parfaitement.
Le lendemain Dimitry et Antoine partent dans la fameuse Murciana 78 tandis qu’avec Alain nous choisissons de gravir l’itinéraire N°97 des 100 plus belles des Pyrénées : la Rabadá-Navarro, premier itinéraire tracé sur la face ouest en 1962.
La Murciana :
C’est un superbe itinéraire direct de 550m dans la face Ouest. Ouverte en 1978 en escalade artificielle, elle se grimpe aujourd’hui en libre. Les deux longueurs clés cotent 7c+ puis 7a mais l’équipement rapproché permet de passer en A0. Sur l’ensemble, 3 longueurs présentent une escalade classique, les longueurs restantes offrent la qualité de cette grimpe exceptionnelle du Naranjo de Bulnes: à l’identique de « Gizon berri bat naiz », gouttes d’eau, trous, une dentelle qui appellent à l’escalade libre en terrain d’aventure. Outre l’escalade, l’autre principale qualité de cette voie est qu’elle peut être descendue facilement en rappel, grâce aux relais équipés sur spits avec anneaux. Cela permet de s’y lancer quand même en cas de météo incertaine.
La Rabadá-Navarro:
Contrairement à la vieille, nous sommes surpris par une escalade complètement différente, à l’ancienne. Fissures athlétiques, calcaire sans grain et surtout un itinéraire sinueux. Il faut régulièrement lire les différents topos pour ne pas se fourvoyer. Cette ligne de faiblesse traverse toute la face ouest. Même dans les dernières longueurs de sortie, pourtant côtées 4, il faut rester concentré et les protections peuvent être difficiles à poser. Au 2/3 de l’itinéraire on coupe la Murciana, ceci permet de s’échapper en cas de problème. Les plus belles longueurs sont la « Cicatrix » une ascendance à droite de 50m en V puis la fameuse fine traversée de dalle en 6a+. Les difficultés se concentrent au début avec des longueurs continues jusqu’à 6c+ presque entièrement à protéger.
Samedi 5 août, la météo maussade reprend ses droits dans cette région habituée au crachin. Ici, il a un nom : L’Orbayu. Nous repartons du refuge vêtus de nos Goretex. Nous arrivons au camion couverts de boue et trempés jusqu’à l’os. Nous n’avons plus qu’à trouver un emplacement pour nos toiles de tentes et attendre le lendemain pour un dernier jour d’escalade sportive.
Le pictogramme du topo-guide du défilé de la Hermida semble indiquer que le devers à colos du site de Rumenes, est un spot tout indiqué en cas de pluie. Effectivement, les conditions sont parfaites et c’est un régal de grimper ces délices de continuité. Les 30m de devers en saisissant les prises à pleine main contrastent avec les gouttes d’eau et les dalles du Naranjo de Bulnes.
Pour notre plus grand bonheur, l’Espagne, c’est définitivement le pays de l’escalade!
Adjudant-chef Arnaud Bayol