Récit d’un baptême (ou 2)

SCH Clément Bergeron
CCH Jordi Noguere

« Ça y est ça commence à faire peur » me lance Jordi alors que l’impressionnante face nord des Grandes Jorasses se dévoile au rythme de notre approche à ski sur le glacier de Leschaux.

Mardi 18 Février : après beaucoup de réflexion et d’incertitudes (aucun retour sur les conditions), nous avons décidé d’aller voir !
Nos doutes se lèvent, peu à peu au fur et à mesure de notre progression. Lorsque premièrement, nous croisons un guide qui descend à ski et qui nous dit que la face a l’air en très bonne condition, puis deuxièmement en recevant une photo (cf. photo) de Clovis (1ere Classe Paulin) qui confirme les mots du guide. Enfin nous atteignons notre zone de bivouac et nous montons faire la trace jusqu’à la rimaye, c’est l’occasion de sortir les jumelles pour observer cette voie des Slovènes qui semble effectivement en excellente condition : neige quick, plaquages bien présents, on aperçoit même la fine goulotte de sortie !

Mercredi 19 février 03h30 : on passe la rimaye, c’est parti.
La Slovènes/Croz résonne en moi depuis le mois de novembre suite à une discussion avec Arnaud (Major Bayol) qui m’a mis la petite graine comme on dit. Alors quand Jordi me propose l’aventure, j’ai des étoiles plein les yeux !
Un premier mur de glace, un peu raide pour la mise en jambe, et c’est parti corde tendue jusqu’au névé médian, ça met déjà un bon coup !

– « Tout va bien ? »

-« Super, c’est magnifique ! J’ai juste mal aux mollets »

-« Ah bah ça y a pas de remède »


C’est reparti ! Seul endroit d’hésitation sur l’itinéraire, des plaquages au-dessus de nous que nous avions vus à la jumelle apparaissent comme une option, mais ils ne débouchent pas. La fine goulotte à emprunter est en réalité cachée dans un dièdre plus à droite. On tire des longueurs jusqu’au névé supérieur que nous atteignons par une dernière portion que mon maître Jedi a randonné ce qui n’a fait qu’accroître ma surprise, lorsqu’en m’appliquant au maximum et en serrant les pioches plus que nécessaire, je me suis aperçu que c’était un peu, beaucoup mental, sur placage fin, très fin, et avec peu, très peu de possibilité de protection !
La suite déroule bien et même si la dernière goulotte nous réservera aussi un passage délicat, pour le coup elle se protège.

10h30 au sommet : « c’est vrai qu’on a pas pris beaucoup de photos, mais ça sent bon la pizza à midi ! »
Et oui, nous avons les voiles dans le sac et l’idée était de décoller après les rappels, mais concernant cette partie les conditions nous ont joué quelques tours !
Jordi, prépare déjà le premier rappel au sommet, lorsque je regarde le fond de vallée italien, entièrement pris par la mer de nuages… Impossible d’envisager l’atterrissage à Courmayeur. Nous choisissons rapidement un plan B qui consiste à finir la traversée jusqu’à la pointe Walker afin d’aller poser vers notre bivouac côté français. Optimiste ! Nous sortons les voiles en sentant le vent de face et en pensant que les conditions sont idéales. En plus, depuis ce nouveau décollage nous apercevons l’intermédiaire du Skyway au-dessus des nuages, c’est donc une option parfaite pour aller poser et récupérer la voiture du bon côté. Mais nos tentatives de décollage resteront vaines, il ne s’agit pas de la brise du Sud attendue mais bien d’un vent météo d’Ouest, qui se déchire sur l’arête et nous arrive tantôt de face tantôt d’ailleurs ! Nous sommes bel et bien dans des rouleaux et le décollage est impossible.
Il faudra donc se résigner à avaler cette longue descente de près de 3000 m de dénivelé dans une neige humide qui nous prend la totalité des jambes et le peu de force qu’il nous reste jusqu’à ce que tout à coup mon pied gauche, s’enfonce bien plus que sur mes autres pas, crevasses !
Je crie, je me recroqueville, et j’attends la fin de cette chute, en espérant qu’elle s’opère par la tension de la corde qui me relie à Jordi plutôt que par le craquement de ma colonne sur un bloc de glace.
Tout pile ! Je m’arrête à quelques mètres du fond de la grotte joliment éclairée par le trou qui vient de m’avaler.

-« il manquait plus que ça ! »
C’est la première fois que ça m’arrive en vrai, alors je reprends mes esprits et repense aux différents exercices que j’ai déjà pu faire :
Une broche ! Rien
Une micro trac ! Rien

De déconvenue en déconvenue, de changement de configuration en changement de configuration, nous n’avons pas répartis le matériel pour la descente et je suis à poil. Je sors donc mon deuxième piolet en espérant grimper cet énorme dévers. Je sais que Jordi me tient, je grimpe quelques mètres dans du sorbet inconsistant, mes ancrages ne tiennent pas, et je finis par retomber au point de départ.
Je refais le point de mon matériel, Reverso, Machard, en avant pour la remontée sur corde. Lorsque je sors mon piolet pour taper la lèvre et me créer un passage, Jordi arrive à mon niveau et m’aide à m’extraire. Je sens qu’il a eu peur, il sent que j’ai eu peur, on prend deux minutes.

Et c’est reparti pour brasser jusqu’à 20h30. Finalement c’était peut-être une journée à prendre des palmes plutôt qu’une voile…

Vendredi 21 février : cette fois-ci ma voile me porte de l’aiguille du Midi jusqu’au glacier de Leschaux. Retour sur les traces d’approche pour aller chercher le bivouac avec l’aide de Cédric (Adjudant Rabinand), et je mesure alors à quel point cette aventure restera un moment très particulier dans ma vie d’alpiniste.

Merci Jordi !