P1010399_1_.jpg

Sorcière blanche

1h45 : le réveil sonne, il me sort de mes pensées. Je n’ai pas bien dormi, je me suis questionné toute la nuit : la structure est elle solide, le soleil se pointera t-il… Autant de questions sans réponse. Tant pis, on verra demain. Mais le plus dur sera de savoir renoncer au pied de la colonne si les conditions sont délicates. Je rejoins Nicolas Beauquis à Sallanches et une heure plus tard nous sommes au parking du Fer à Cheval.

Sur place, je me rappelle deux jours auparavant avec Cédric Périllat, errant dans la brume pour trouver Tré la Chaume, j’avais distingué la Sorcière Blanche, enfin je n’en étais pas sûre, au lieu de deux crayons, je n’en voyais qu’un seul, énorme. Le soir, en rentrant sur le parking, je croisais Nicolas qui était venu repérer la Massue. Celle- ci étant tombée, nous échafaudions le plan de gravir la Sorcière par la magnifique colonne, jusque là non gravie.

Cette fois, l’accès était tracé et en seulement une petite heure nous étions au pied. Nous attaquons à grimper de nuit les deux premières longueurs faciles.

Les difficultés commencent avec le levé du jour, une troisième longueur de 60m tout en pétales, où il faut louvoyer pour trouver son itinéraire.

Ca y est, nous sommes au pied du rocher, la première longueur donne le ton, du mixte délicat, heureusement bien protégé par des spits. La deuxième est plus classique, des mottes dans du rocher bien moins raide. Au pied de la dernière, le ciel est toujours grand bleu, il y aura donc du soleil et ce n’est pas bon du tout pour notre assurance vie. Mais nous apercevons bien le premier crayon, qui très impressionnant nous attire fortement. Le plus dur est de renoncer me dis-je dans ma tête. Tant pis, je me lance dans la traversée conscient qu’au-delà la retraite deviendrait compliquée. Pour passer, je suis obligé de grimper sans gants. Les spits ne sont pas aussi près que je l’avais espéré, mais le rocher étant bon, l’escalade est agréable même si elle n’est pas réalisée dans un style très pur.

Nous y sommes, la glace est à moins de 5m. Par contre, pour y accéder, nous devrons passer par un petit glaçon bien branlant. Quand Nico arrive, nous distinguons avec joie qu’un voile nuageux s’installe progressivement. C’est ainsi, le cœur plus léger, que Nico s’élance délicatement sur le petit freestanding. 7m plus tard, il rejoint le gros crayon et peut enfin brocher. Pour sortir, il doit contourner par la droite l’énorme méduse qui lui barre le chemin, le contraignant à grimper sur des éclaboussures.

En second avec le sac, je sens mes bras chauffer mais n’en reviens pas de la classe de la longueur. Au relais, nous observons la fameuse colonne, elle a l’air stable. N’ayant pas tout à fait récupérer de la longueur précédente je me lance. Le début est délicat : la glace est très aérée et difficile à protéger. La suite est plus aisée mais toujours raide.

Je n’en reviens pas quand je fais le relais : 50m verticaux, dont 20 de freestanding. La raideur se confirme quand Nico en second envoie un énorme bloc qui retombe à plusieurs mètres de la paroi.

Au relais, la pression redescend un peu, le ciel est couvert et il reste une seule longueur. Nous commençons à être fatigués mais il faut rester concentrés, Nico s’élance et rencontre une glace est cassante et donc très fatigante. Pour passer un petit surplomb, il se met un bon coup de pression, ses bras sont fatigués et ses ancrages aléatoires. Mais ça passe. Les 15 derniers mètres verticaux et bien physiques lui demanderont ses dernières ressources pour arriver au sommet. En second malgré les ancrages, je suis aussi complètement cramé quand je débarque sur les pentes en neige.

Nous avons envie de laisser exploser notre joie, mais comme souvent la descente n’est pas débonnaire. Nous traversons ces pentes en nous assurant tant bien que mal pour parvenir au sommet des Folly de gauche. De là, en 5 rappels de 60m, nous touchons le sol presque 12 heures après l’avoir quitté. N’ayant pas entendu gronder le cirque de la journée, nous descendons sereinement à la voiture, après avoir jeté un dernier coup d’œil sur cette ligne de grande classe.

Seb RATEL