Préambule:
Cet article au ton humoristique retrace l’ascension d’une cascade de glace qui s’est conclue par une descente en BASE-jump de toute la cordée. L’équipe était composée des 2 paralpinistes expérimentés du GMHM qui sont le SCH Cédric Rabinand et l’ADC Arnaud Bayol, accompagnés du 1cl Jordi Noguere qui signait par là même son premier saut de falaise. Le GMHM, à travers ses experts du domaine, a mis en place un protocole de progression évolutif pour des volontaires néophytes, qui présentent un profil et une expérience antérieure adapté. Le 1cl Noguere, en tant que parapentiste expérimenté et montagnard aguerri, était en mesure de réaliser ce geste simple, mais néanmoins impressionnant, qui consiste à sauter debout en gardant l’axe des épaules orientées. Accompagné de spécialistes de l’activité, le 1cl Noguere était complètement assisté jusqu’a l’ouverture de son parachute. En effet, la technique utilisée (ouverture assistée) consiste à déléguer l’ouverture du parachute à une personne d’expérience. Faire sauter un débutant qui met en nous une confiance aveugle est une lourde responsabilité. Cette action est envisageable au GMHM car elle a fait l’objet d’études et d’expériences antérieures éprouvées.
« Sous l’oeil des Choucas »
Guet-apens: nom masculin, ancien français guet a pensé, guet prémédité. Embuscade préparée contre quelqu’un pour l’assassiner ou exercer sur lui des actes de violence : Attirer quelqu’un dans un guet-apens. larousse.fr
C’est la pensée qui a traversé les grimpeurs du GMHM quand ils ont appris que Jordi Noguere avait fait son premier saut en BASE-jump du sommet d’une cascade de glace à Freissinières. Pourtant non, ce n’était pas un guet-apens! Car initialement nous avions préparés ce projet à deux en grimpant dans la vallée et en répétant la semaine d’avant le saut qu’avait ouvert Jérôme Blanc Gras en 2010 du sommet du « Flocon de Koch ». En amateur de cascades mixtes et comme il restait une place sur la corde, Jordi saute sur l’occasion. N’allez pas supposer que notre sournoise cordée l’aurait pris par surprise car la victime était consentante. L’occasion fait le larron et s’épargner les rappels en découvrant les joies du saut en ouverture assisté ne manquait pas d’intérêt. En parapentiste chevronné Jordi était à même de poser sa voile sans encombre et cette paroi dévers offre un exit de qualité. Il était donc le parfait postulant pour ce biathlon vertical.
Mouais… ok… je vous sens encore suspicieux.
L’ultime question est la suivante: comment arrive t’on à appâter un grimpeur du GMHM au point de l’embarquer pour un saut à Freissinières?
Sachant qu’un grimpeur priorise la ligne d’ascension il faut lui servir une pièce de choix. Et c’est l’envie de parcourir « Sous l’oeil des choucas » qui donne tout son sens au projet. Ce n’est pas une cascade classique de la vallée et le manque d’informations rend cette ascension aventureuse. Cette trainée de glace de 300m offre une escalade mixte engagée. Ouverte en février 1996 par C.Moulin, T.Clarasso et P.Guiraud elle semble peu reprise. Jérôme Blanc Gras et Tim Emmett grimpent l’itinéraire en février 2009 en espérant sauter du sommet en BASEjump mais, arrivés au sommet de nuit, ils doivent abandonner l’idée du saut. Depuis, pas de trace d’une autre cordée sur les réseaux. Conscients du challenge nous décidons d’étaler l’ascension sur deux journées. J1 il faudra escalader la première moitié, installer les cordes statiques et rentrer dormir au gite de Pierre-Emmanuel. J2 il restera à remonter sur les « stats » en hissant les parachutes pour accéder à la seconde moitié de la cascade. Finalement le plan c’est plutôt bien déroulé grâce au concours de Jordi qui fût décisif dans les longueurs mixtes pauvres en glace du milieu de l’itinéraire.
Lundi 18 janvier 7h30 nous remontons sur la trace qui mène au torrent de gramusat. Contrairement à l’itinéraire indiqué sur le topo nous contournons le socle par la droite en passant sous les « missiles » du « Flocon de Koch ». En Zigzagant sur les rampes, leashs aux piolets, il n’a pas été nécéssaire de s’encorder. Un vieux relai marque le départ de la première longueur qui s’étire au dessus d’eux. Il faut d’abord franchir un petit ressaut puis partir à gauche dans un dièdre. Le miracle du gel permet de grimper dans ce rocher fragile et délité. Au bout de 50m je retrouve un relai sur deux pitons auquel j’ajoute un spit de 8mm. La seconde longueur commence par un dévers, Jordi pose deux friends puis s’engage dans un « run-out » qui lui demande une certaine détermination. À la fin de cette longueur il trouve enfin un peu de glace. Le relai d’origine n’est pas bien placé cette année et il choisi de faire un relai 10m plus à gauche en posant un nouveau spit et une bonne broche. L3 semble plus fournie en glace mais celle-ci est fine et cassante.
Jordi doit passer dans le rocher par une traversée en équilibre sur les crampons pour faire enfin un relai sur 2 broches. Je repars pour deux méduses séparées d’une fissure dièdre. le relai sur pitons est à gauche de cette courte longueur. J’abandonne le relai d’origine au profit d’un relai neuf sur 2 spits. Il est 16h et il faut encore fixer les cordes avant la nuit. Un premier brin de 100m est fixé suivi d’un second de 60m pour la L1. Un brin de gully fixé sur le socle nous permettra de gagner du temps et de la sécurité le lendemain.
Mardi 19 6h30, -13° au Parking. Compte tenu de la difficulté de l’itinéraire nous décidons de ne pas perdre de temps ce matin. Jordi et Cédric montent s’attaquer à la dernière longueur mixte cotée M9 par Blanc Gras et Emmett. Pendant ce temps je hisse le sac qui contient nos 3 parachutes et démonte les fractionnements. Jordi tente d’enchaîner mais tombe et arrache un vieux piton. La stalactite de rétablissement est absente, Jordi est contraint de rajouter 2 spits pour rejoindre le rideau final. Relai sur broches. Cédric repart en tête dans le rideau, relai sur broche puis je continue dans une courte longueur de pétales. Relai sur broche dans une grotte. Encore une longueur soutenue pour rejoindre l’amont de la glace, relai sur broche. Enfin une longueur facile de 20m nous permet de sortir en faisant relai sur un arbre.
Après cette journée de grimpe et de halage il est déjà 16h30 quand nous préparons le saut. Les cordes en fagot sont les premières à subir la gravité. Le sac de hissage plus léger freiné par un extracteur de 48 pouces nous précède. Le matériel tombe à l’aplomb dans la neige sans encombre. Place à notre guerrier pacifique le soldat Noguere qui va comprendre la différence fondamentale entre tomber et se jeter. C’est avec un sang froid remarquable qu’il demande à Cédric: « C’est bon je peux y aller? ». Cédric surpris par tant de promptitude vérifie le passage de la drisse d’extraction et donne le feu vert. Jordi articule un dictinct « ok » puis saute sans hésiter. Après coup il nous avouera qu’il a trouvé la chute un peu longue mais le cri qu’il a poussé dès l’ouverture du parachute en dit long sur son ressenti. Il semblerait même prêt à renouveler l’expérience si l’escalade en vaut la peine!