PEROU 2016

Pérou 2016 : Ouverture à la Siula Grande

Siula Grande : Le bruit des glaçons

2 septembre 2016

Sommet : Siula Grande 6344 m
Nom de la voie : “Le bruit des glacons”
Cotation : ED / 1400m / 6c WI5
1500m d’escalade effective : 750m de rocher (24 longueurs) / 750m de neige et glace
Massif : Cordilliere Huayhuash / Pérou


Mardi 16 Aout
Nous observons la face : après la photo, la voir en vrai fait apparaitre de nouvelles possibilités mais aussi des impasses. Cette observation est essentielle afin de préparer la cordée et de déterminer le temps qu’il nous faudra pour parvenir au sommet. Ceci conditionnera le nombre de bivouac et donc le poids de nos sacs.
De retour au camp de base, nous devons « rentrer toutes ces ambitions » dans un sac! Ce fameux sac dit « la patate » sera un sac de hissage de 120 L. Nos ambitions étant grandes, il sera donc plein à craquer!!! Nous compressons au mieux : matériel technique, nourriture et ustensiles de bivouac afin d’emporter notre équipement dans la voie. Mais pas de place pour le superflu : l’utilité ou plutôt la nécessité de chaque gramme étant assidument soupesée. Etant donné la verticalité du pilier, nous avons intérêt à grimper sans sac sur les épaules!

Dimanche 21 Aout
Au petit jour, enfin, nous attaquons. Dès la première longueur, le pitonnage commence et déjà il faut changer les plans concernant la ligne à adopter. Troisième longueur et nous en sommes déjà au plan D ! Mais la montagne nous offre ses plus beaux atouts et il est facile de rebondir. Cannelures, fissures évidentes et verticalité sont au programme. Quel plaisir d’évoluer dans ce terrain vierge et de grimper dans l’inconnu. Malheureusement pour nous, la météo se dégrade rapidement et l’après midi devient neigeuse. La face est plaquée de neige, il nous est impossible de poursuivre. Nous décidons d’attendre une nuit…

Lundi 22 Aout
Meteo instable, donc nous entamons un retour prudent au camp.

Mercredi 24 Aout
Cette fois les prévisions nous laissent espérer un créneau suffisant pour l’ascension, alors nous repartons et attaquons le mur au petit jour. Après environ 200 m, la roche laisse la place à un entonnoir glace. Nous troquons nos « collants d’Edlinger » pour les Gore Tex d’alpinistes et la magnésie s’échange contre les piolets. Une jolie longueur de glace plus tard, nous débouchons au sommet de la « casquette », cette vaste formation de neige et de glace qui nous surplombait jusqu’alors. Nous y installons notre bivouac pour la nuit et observons ce que demain nous réserve. La chance est avec nous et un cheminement logique se confirme.

Jeudi 25 Aout
Deuxième jour dans la montagne, vers midi les difficultés augmentent et avec elles les doutes concernant l’itinéraire à suivre. La discussion s’amorce, petit à petit se dessine le compromis qui nous rassemble. Ce sera cette raide ligne, droit au dessus. Attirés par les fissures, nous recherchons avant tout les faiblesses de la paroi. N’ayant pas emporté de spits (pitons à expansion), il faut nous diriger vers le passage le plus simple, le moins aléatoire. Mais est-il a gauche? A droite? Et la chance est à nouveau de la partie car le pitonnage est aisé dans ce rocher. Seul un léger grésil vient perturber cette journée ensoleillée où tout semble nous sourire.
Peu avant la tombée de la nuit, une petite plateforme providentielle nous saute aux yeux sur l’arête. Nous la rejoignons y installons le bivouac sur un emplacement plutôt précaire.

Vendredi 26 Aout
L’escalade se poursuit tout au long de la matinée. Nous nous relayons sur un calcaire parfait où les fissures nous permettent de nous protéger suffisamment. A midi, nous débouchons au sommet du triangle rocheux, à 5700m, après avoir parcouru ces 750 m d’escalade qui nous ouvrent les portes de la grande arête Sud Est de la Siula Grande.
Une deuxième ascension commence ici.
Les prévisions météo ont un peu changé. Une perturbation traversera la cordillère demain soir, alors nous devons rejoindre le sommet avant son arrivée. C’est pourquoi nous partons avec le minimum, pour bivouaquer ce soir le plus près possible de la cime.
100 m de dénivelés d’une arête ciselée et couverte de collerettes de glace instable nous attendent pour rejoindre le col neigeux.
Delà nous fixons à la descente les 60 m de corde statique (qui nous servaient jusqu’à présent pour hisser notre « patate ») car le rocher est médiocre, couvert de neige pulvérulente. Cette corde nous sera d’un grand secours au retour. Pour les 30 m suivants, n’ayant plus d’autre corde à laisser en place, nous tirons un rappel à l’aplomb d’une longueur de glace raide qui nous parait jouable au retour…

Il est 14 heures, nous sommes à 5600 m et l’engagement de notre course vient d’augmenter d’un bon cran car à seulement 2 grimpeurs sur la montagne, cette remontée pourrait devenir problématique et en contre bas, le glacier très crevassé du Sarapo ne constitue pas une option de retraite en cas de soucis.

Chassant cette idée de nos esprits, nous attaquons les pentes de neige et de glace raides qui composent la vaste arête Sud Est. L’escalade devient plus laborieuse et plus physique. Il faut creuser une belle épaisseur de neige pour trouver une glace de bonne qualité afin de s’assurer. Et puis comme souvent, sans crier gare, la nuit s’invite au bal! Toujours pas de plateforme à l’horizon. Nous continuons péniblement notre progression à corde tendue dans le halo de nos frontales. Les protections deviennent plus rare mais nous décidons tout de même de garder la corde entre nous. Le brouillard rajoute un peu d’ambiance, voilà une belle journée d’alpinisme! C’est finalement bien secoués que nous nous rétablissons sous le gros champignon sommital à 21 heures. Le bivouac est idéal, taillé dans une crevasse perchée à 6200m. A 23 heures, nous nous endormons, repus et fatigués.

Samedi 27 Aout
La mesquine sonnerie de la montre nous tire à 5h de la tiédeur du duvet dans une tente bien givrée. La perspective des précipitations annoncées pour ce soir nous motive à ne pas s’attarder! Un simple coup d’oeil à l’extérieur fait envoler nos doutes. La Croix du Sud brille comme jamais,la voie lactée est sublime : c’est le “summit day” idéal!
L’excitation est là, le sommet est proche. Après un peu de marche sur l’arête, une pente de glace nous oppose une dernière résistance, puis la raideur s’adoucit. Il est à peine huit heures quand nous atteignons les 6344 m tant convoités. L’euphorie du sommet me fige le sourire aux lèvres, l’émotion est forte d’être ici tous les deux. Panorama idyllique, pas un brin de vent, on ne pourrait pas rêver mieux.
On se sent petits et isolés à cause de la descente qui s’annonce longue à équiper et la rimaye 1400m plus bas parait encore bien lointaine! Mais c’est exactement ce que nous sommes venus chercher en nous engageant sur cette face, encore inexplorée.

Après le rituel de la pause thé au sommet que l’on voudrait prolonger, nous nous tournons avec attention vers la descente et une belle succession de rappels le long de l’arête de glace. Concentrés pour remonter les « fameux 100 m du triangle », nous nous écroulons finalement dans la tente au sommet de la partie rocheuse.

Dimanche 28 Aout
Ce n’est que vers 14 heures, après avoir équipé la descente de nos trente pitons et stoppers que nous prenons enfin pied sur le glacier au terme d’une aventure de cinq jours dans l’inconnu et le doute de la face Est de le Siula Grande. Sommet mythique et mystérieux, il nous aura réservé cette fois-ci une fin bien plus agréable que celle des deux anglais auxquels on doit la légendaire descente de l’arête nord. Plus que cela, il aura comblé de loin toutes nos attentes…

Merci à Didier ainsi qu’à Damien. Un remerciement particulier pour nos cuisiniers, toujours aux petits soins!

Pour la petite histoire, nous avons baptise cette voie “Le bruit des glaçons” en référence à notre camp de base, bercé par les trop nombreuses chutes de séracs de la face nord de la Siula Grande. Etonnamment, c’est en passant ces 5 jours dans la montagne que nos nuits auront été les plus calmes.

Caporal Max Bonniot