Pérou : Paralpinisme

Présentation

Cette expédition sera la première d’un nouveau cycle.

Précédemment le Groupe avait préparé, deux années durant, une expédition en Patagonie où deux sauts avaient été «ouverts» dans le massif du Fitz Roy. Le challenge était important car il fallait former 2 des 3 paralpinistes aux techniques adéquates, s’adapter à une météo défavorable et enfin réaliser un film à visée internationale (National Geographic).

La rigueur de la préparation, tant organisationnelle que technique, physique et mentale, fut déterminante. Fort de cette expérience le GMHM souhaite retranscrire ce savoir-faire à la haute altitude. Cependant il faudra transférer les techniques à un environnement différent tout en restructurant une équipe nouvelle.
Le chef de bataillon Sancier et l’adjudant Alozy ayant quitté le groupe, l’adjudant-chef Bayol fera cordé avec le sergent-chef Rabinand (paralpiniste expert). Le capitaine Piotrowski, officier adjoint du GMHM et expert parapente, sera le chef d’expédition et pourra compléter la cordée des paralpinistes.

Ce nouveau cycle d’expéditions se veut progressif afin d’appréhender le paralpinismede haute altitude avec un maximum de sécurité.
Il s’agira donc de déterminer des objectifs adaptés qui permettront à la cordée de poursuivre une acquisition progressive des savoir-faire.

Cette destination offre un terrain propice à entraîner et préparer les membres du GMHM dans les 3 directions suivantes :
• Former une nouvelle équipe ;
• Évoluer en haute altitude entre 6000 et 7000m ;
• Utiliser les wingsuits

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Jeudi 8 juillet 2021 à Huaraz.

Voilà une semaine que nous avons élu Huaraz comme centre de gravité de notre expédition au cœur de la Cordillère Blanche. Cette ville péruvienne de la région d’Ancash permet de rayonner sur la plupart des vallées de cette chaine montagneuse. A environ 3000m d’altitude c’est l’endroit idéal pour se reposer après chaque phase d’alpinisme. Car nous comptons bien multiplier les expériences en altitude et découvrir comment nos organismes réagiront.

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Notre petite équipe de 4 est composée de Natacha, notre médecin d’expédition, qui possède déjà une bonne expérience en altitude, François et Cédric qui vont découvrir la tranche d’altitude au-delà de 5000m, et moi qui connait déjà la cordillère. Pour nous, l’objectif principal sera de sauter en base-jump depuis la face Sud du Huandoy.

Ce sera donc l’occasion de ressentir les effets de l’altitude sur notre trajectoire de wingsuit, sur le délai de chute ou sur la portance de notre voile.

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Mais avant d’atteindre les 6160m d’altitude du Huandoy Sur, il va falloir s’acclimater progressivement. Cette acclimatation avait débuté au mois de juin à Chamonix.
Entre des phases passives à l’occasion de nuits au refuge des cosmiques et des phases plus actives en grimpant au sommet du Mont-Blanc. Cette pré-acclimatation nous a permis de dormir correctement à Huaraz et d’être à pied d’œuvre dès les premiers jours.
Le plus dur fut d’effacer progressivement les 7 heures de décalage horaire avec la France et de prendre le rythme des journées qui s’étirent invariablement de 6h à 18h, car nous sommes ici proche de l’équateur.

Nous sommes donc arrivés le mercredi 30 juin après un voyage avalé d’une traite. La motivation est à son comble en découvrant ce ciel si bleu. L’équipe est heureuse d’avoir pu partir malgré un contexte pandémique mondial incertain.

Voilà une petite parenthèse qui résume l’esprit dans lequel nous avons quitté la France le 29 juin, à l’occasion d’un petit paragraphe écrit dans l’avion :
« Ça y est, enfin partis ! Il est 4:00 quand le « Cham Van » nous éloigne de Chamonix. Le voyage est long, à 7:20 l’avion décolle de Genève pour se poser 1h30 après à Amsterdam. Il est 12:30 quand le Boeing 777 nous arrache du ciel dépressif des Pays-Bas et, malgré les 7h de décalage, il sera 18:30 quand il atterrira à Lima. Soit un voyage de 21h en 14h heure locale. Entre le manque de sommeil couché et les complications administratives liées au Covid, il faut être franchement motivé pour partir en expédition en ce moment. Déjà en amont du départ, il faut résister aux voix anesthésiantes et décourageantes des pessimistes englués dans une actualité qui pousse à l’attentisme voire l’immobilisme. Trop d’incertitudes, pas de visibilité, entre l’actualité médiatique et les précautions gouvernementales des différents pays traversés, il faut rester hermétique. Il faut garder intacte la motivation qui brule en nous depuis un an et demi, car la dernière expédition du GMHM date de Février 2020. Mais malgré les annulations récemment vécues, les expéditions préparées puis démontées une à une depuis 17 mois, nous avons décidé de forcer la chance pour partir. Ni le contexte pandémique encore défavorable au mois d’avril en Amérique du Sud, ni les tensions autour des élections présidentielles au Pérou n’a entaché notre entrainement. Nous nous sommes préparés comme si de rien n’était et seule l’ambassade de France ou la douane pourrait nous arrêter. Comme le contexte et les mesures évoluent sans prévenir, nous prenons comme parti d’essayer, quitte à faire demi-tour. « Il faut aller voir » était notre leitmotiv lors de notre dernière expédition en Patagonie, il semble que cette stratégie doive rester inchangée. »

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La motivation est là c’est certain. Il va d’ailleurs falloir penser à la brider. Car dès le second jour à Huaraz, je suis sévèrement rappelé à l’ordre, heureusement sans dommage. Nous avons en effet l’idée lumineuse d’une rando/vol à 5000m qui se termine pour moi… dans un lac d’altitude. L’aérologie locale a donné le ton. Mais cette frayeur convertie en expérience nous a permis d’envisager un saut en wingsuit dans la vallée de Parón les jours suivants.

Parón est une vallée particulièrement esthétique. D’abord il faut remonter un étroit canyon bordé d’impressionnantes falaises, puis on atteint le lac du même nom entouré de sommets familiers aux alpinistes, skieurs et grimpeurs : Huandoy, Pisco, Chacraraju, Pirámide, Artesonraju, qui oscillent tous autour des 6000m d’altitude.

Pour nous le premier objectif sera La Esfinge (le sphinx), épaule granitique bien connue des grimpeurs. Nous établissons un camp de base confortable à 4700m d’altitude et nous y resterons 3 nuits durant.
L’altitude se fait ressentir surtout la première nuit. Le lendemain nous grimpons la facile arête Nord du Sphinx et son sommet à un peu plus de 5300m d’altitude.

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Le jour d’après nous longeons son impressionnante face sud pour trouver un saut que l’ami paralpiniste Aurélien Chatard avait ouvert il y a quelques années, depuis un mur qui surplombe la vallée de Parón. Ce jour-là le vent d’E est trop fort pour envisager de sauter. Nous y revenons donc le lendemain matin et c’est l’occasion de sauter depuis un exit à 4570m d’altitude.

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Une première référence de prise de vol en wingsuit pour Cédric et moi. Nous nous élançons depuis un éperon dégagé car François saute en « glisseur bas ».

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Le saut ouvert par Aurélien présente un départ fermé dans un dièdre, or pour François qui ouvre son parachute tout de suite, la configuration n’est pas bonne. La pointe que nous trouvons 100m plus bas permet à tous de sauter en sécurité. A 8h30 l’aérologie est parfaitement calme et nous atterrissons sans encombre au fond de la vallée.

Après avoir passé 4 jours à plus de 4700m il est temps de rentrer à Huaraz se reposer. Nous espérons maintenant pouvoir rendre une première visite de repérage à la face S du Haundoy et continuer notre acclimatation. Mais dans chaque aventure il y a un grain de sable pour gripper les rouages. Et les dernières prévisions que nous annonce notre routeur, Laurent Valbert, laissent penser que cet aléa pourrait venir de la météo, habituellement si stable en juillet dans cette cordillère…

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Arnaud

Samedi 10 juillet – Huandoy

Après seulement deux journées de repos à Huaraz nous repartons dans la vallée Lianguanuco au-dessus de Yungay. Cette vallée sépare le Huandoy du Huascaran. Nous sommes ici entre deux des plus hauts sommets de la « cordillera blanca ». La ville de Yungay est tristement célèbre car elle fut dévastée en 1970 par une lave torrentielle venue du Huascaran. Le séisme de 7,8 sur l’échelle de Richter décrocha une grande quantité de glace, roc et neige de ce sommet. Les matériaux se précipitèrent dans les petits lacs glaciaires ce qui déclencha une énorme lave torrentielle qui descendit à plus de 200km/h vers le village de Yungay. Il fût enseveli et plus de 30 000 personnes furent tuées aux alentours de l’épicentre. Aujourd’hui la ville est reconstruite quelques kilomètres plus loin à l’abri d’une catastrophe similaire.
La traversée de la ville ne nous laisse pas indifférent. A partir d’ici nous engageons notre minibus sur 25km de piste en direction des Laguna Lianganuco, point de départ de notre marche.

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3 porteurs et un cuisinier nous accompagnent pour monter un camp de base (CB) à 4600m d’altitude au pied de la moraine. L’itinéraire est rarement fréquenté, il nous est même difficile de retrouver la sente qui part de la vallée. Après une heure nous tombons sur la trace qui se perd 500m plus haut dans un pierrier. Peu d’emplacements, un seul point d’eau, nous n’avons guère le choix, il nous faut terrasser pour monter les tentes. Demain nous devrons poursuivre à 5300m pour établir un camp de base avancé au plus près des difficultés.

Samedi 10 juillet vers 8h nous remontons péniblement les pentes d’herbes. Vers 4900m nous atteignons les dalles polies par le glacier qui s’est retiré 150m au-dessus. La neige abondante de cette saison nous laisse emprunter un glacier blanc. La face aussi est blanche. Depuis notre départ nous lançons des regards réguliers en espérant découvrir l’itinéraire « évident » et « facile » qui permettra de rejoindre le sommet du Huandoy S par son arête Ouest. Nous sommes partis avec quelques informations car au début des années 2000, les jeunes Jourdain et Raymond, alors en équipe jeunes alpinistes, étaient venus s’acclimater par cette arête. C’est donc avec une certaine assurance que nous approchons ce sommet. Mais aucune perspective ne nous laisse deviner un itinéraire évident. Pas grave ! nous verrons mieux plus loin…

A 5300m et poussés par un généreux vent d’Est, nous posons nos tentes au plus près des difficultés du lendemain. Cette prochaine journée doit nous permettre de visiter la face et préparer l’accès au saut.
Avant de continuer il est nécessaire d’expliquer la stratégie envisagée :
L’objectif de notre expédition au Pérou étant de sauter de la face Sud du Huandoy Sud nous devons, en tout premier lieu, nous acclimater. Le massif du Huandoy présente quatre sommets : le Huandoy Norte (6395m et 3e plus haut sommet de la Cordillère Blanche), le Huandoy Oeste (6356m), le Huandoy Sur (6160m, notre objectif) et le Huandoy Este (6070m). Le Huandoy Sur n’a pas vraiment de voie normale, nous devons donc trouver l’accès le plus évident en fonction des conditions présentes en cette année 2021. Après une première partie d’acclimatation réalisée au Sphinx, nous souhaitons mettre à profit la suite de cette acclimatation en préparant l’ascension du Huandoy. Voilà donc pourquoi nous montons une première fois, sans parachute, découvrir l’itinéraire envisagé.
Malgré le ton léger nous commençons à douter de l’option « arête W ». Est-ce le point de vue ? avions-nous sous-estimé cet itinéraire présenté comme débonnaire ? force est de constater que, sous toutes ses perspectives, l’itinéraire n’a rien d’évident. Adieu la posture corde courte et piolet canne. De toute façon le vent persiste et nous rentrons dans nos tentes. Nous verrons bien demain.

Dimanche 11 juillet 6h, nous ne voyons rien ! Il neige, le vent a soufflé à 50kmh toute la nuit et nous sommes dans les nuages. Le bulletin prévoyait à peu près ça mais nous comptions sur notre optimisme pour repousser le plafond nuageux à 5800m. Il n’en fût rien et bien heureux si nous arrivons à revenir vers le camp de base sans tomber dans une crevasse.

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Arrivé au CB nous sortons de la couche nuageuse mais à cette altitude aussi il a neigé. Trempés mais heureux nous partageons le petit déjeuner avec Natacha et les porteurs. D’après la prévision le mauvais temps s’installe durablement. Nous décidons de rentrer un jour plus tôt et de rejoindre Huaraz des questions plein la tête. Pourtant en 2003 Jérôme et Christophe Blanc Gras ainsi que Lionel Deborde sont venus ouvrir le saut de la face S en passant par cet itinéraire. En 2013 le Suisse Julien Meyer est venu faire ce saut en wingsuit mais quel itinéraire avait-il emprunté ?

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A Huaraz, Magno notre guide de référence, nous prévient que chaque année est différente dans la cordillère. Les itinéraires varient en fonction de l’enneigement et des corniches. Plus que tout, c’est le « calentamiento global » qui métamorphose les montagnes à vive allure et certains itinéraires qu’il a parcourus en 1984 sont devenus infréquentables.
Fort heureusement la face que nous envisageons ne semble pas encore infréquentable mais il faut s’attendre à ce qu’elle nous réserve quelques surprises.

La conclusion intermédiaire que nous tirons de cette première incursion au Huandoy peut se résumer en 2 points :
– Rester humble et revoir à la hausse l’énergie nécessaire à l’ascension.
– Réfléchir à une alternative pour atteindre le sommet de la paroi.
Les prévisions de la semaine sont mauvaises et de toute façon nous devons nous reposer. Nous allons mettre à profit ces prochains jours pour glaner des informations, faire des reconnaissances en mode léger et peut être découvrir une option intéressante.

Arnaud.

Dernières étapes

Choisir, c’était renoncer au Huandoy tout en ouvrant la porte à une nouvelle aventure. Nous allions découvrir un sommet que nous n’avions pas même envisagé.

Lundi 12 juillet

Nous sommes de retour à Huaraz dans notre gite « La Casa de Zarela ». A la fin de cette semaine nous serons suffisamment acclimatés pour marcher et grimper efficacement à plus de 5000m. Cette acclimatation se déroule bien et aucun d’entre nous n’a eu de symptômes du mal aigu des montagnes. C’est une bonne nouvelle qui confirme que nos organismes s’adaptent à ces altitudes. D’un point de vue physiologique les indicateurs sont au vert, mais pour ce qui est de notre projet d’ascension et de saut du Huandoy c’est une autre affaire. La semaine dernière nous avons dormi au pied de l’itinéraire Ouest et nous avons pu constater que cet accès n’avait rien d’évident. Il y avait surement une alternative.

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Mardi 13 juillet

Nous partons reconnaitre trois vallées situées au-dessus de Huaraz. Nous divisons le groupe en deux, quand Natacha et François visitent la Quebrada Shallap, Cédric et moi visitons les vallées de Cojup et Quilcayhuanca. L’idée c’est de chercher des falaises suffisamment hautes pour trouver de potentiels sauts en wingsuit. Short, baskets et petit sac, ce sera l’occasion de se faire plaisir en courant dans des vallées plates à 4000m d’altitude. Les vallées de Shallap et Quilcayhaunca sont magnifiques mais n’offrent pas les reliefs escomptés. Par contre la Quebrada Cojup se révèle très intéressante. A l’entrée à gauche une belle falaise jaune surplombe la vallée, puis, 5km plus loin, nous apercevons la face ouest du Churup (5495m) qui pourrait offrir une verticale suffisante. Il va falloir observer cette montagne de plus près…

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Mercredi 14 juillet

Lors d’une séance d’escalade à Los Olivos, nous apercevons le profil de Churup, la montagne qui, hier, a attiré notre attention. Il semble vraiment y avoir une face verticale pas loin du sommet. Cette montagne attirante domine Huaraz et commence à vraiment nous interpeller. Elle n’a jamais été visitée par des Base-jumpers, elle culmine à 5500m, la ligne de vol amène dans la vallée visitée la veille où nous avons vu un beau terrain d’atterrissage, et si ce sommet était la surprise de l’expédition ?
Nous devons chercher toutes les informations disponibles sur cette montagne et sur le Huandoy S pour prendre une décision et réorienter la suite de l’expédition vers l’option la plus intéressante.

Jeudi 15 juillet

Encore une journée de reconnaissance qui, nous l’espérons, doit permettre de prendre une décision pour le Huandoy. Natacha et François quittent Huaraz à 3h du matin pour rejoindre le refuge Perú qui se trouve au pied du glacier E de Huandoy S. Depuis la moraine ils voient clairement l’ensemble du terrain et photographient le glacier qui donne accès au col entre le Huandoy et le Huandoy Sur. Si cet accès est simple alors nous comptons accéder au saut de la face S depuis ce col qui deviendrait notre camp de base avancé. Malheureusement l’itinéraire est surplombé de séracs. Voilà qui doit nous ramener vers l’arête O si nous conservons le Huandoy S comme objectif.

De notre côté avec Cédric et accompagnés de Magno nous retournons dans la vallée de Cojup pour rejoindre le pied du potentiel saut du Churup. Nous devons mesurer si cette face est suffisamment haute et verticale. La journée sera d’abord rentable du point de vue de l’acclimatation car nous parcourons 1700m de dénivelé dans des pierriers jusqu’à 5000m d’altitude.

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La face est prometteuse : 270m de face quasi verticale puis un terrain assez plat (2 de finesse) qui ensuite se raidit pour rejoindre le fond de vallée. Ces mesures nous laissent perplexes car nous n’avons pas beaucoup volé ce genre de profil et encore moins à ces altitudes. Nous sommes venus au Pérou dans l’idée de sauter en altitude, certes, mais d’une grande face qui nous laisse le temps d’appréhender la mise en vol (réduite par l’altitude) et ouvrir le parachute le cas échéant.

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En mettant en commun toutes ces informations l’idée se précise mais Cédric doute de sa mise en vol. Sur les sauts que nous avons réalisés cette année il y avait une différence entre ses mises en vol et les miennes. Une différence suffisamment notable pour que cela l’inquiète.

Samedi 17 Juillet

Ouverture d’un saut d’entrainement.
Cédric souhaite confirmer sa mise en vol et se représenter le saut du Churup. Pour cela nous montons vers le Rima Rima puis la jolie verticale que nous avions découvert à l’entrée de la Quebrada Cojup. Après 2h00 de marche nous arrivons sur le rebord de cette falaise qui culmine à 4600m. exposée E elle prend le soleil dès le matin. Nous faisons en sorte de sauter tôt pour limiter l’aide du thermique. Le vol n’est pas très long (700m) mais il est beau visuellement. Il consiste à sauter dans une gorge pour ensuite border une colline boisée avant d’arriver au fond de la vallée et ouvrir son parachute. Pour se représenter l’approche du point dur du projet de saut à Churup, Cédric prend un repère à -445m pour +266m d’avancée. Il devra passer assez haut au-dessus de ce point pour envisager un vol qui durera ensuite sur un terrain à 30° de pente. Une fois de plus l’aérologie locale est surprenante. A 8h00 pas un souffle, à 9h00 déjà de la brise en rafales à 20km/h. Nous sautons dans une aérologie déjà active, thermique au départ puis brise au posé. Malgré tout le vol reste agréable. Nous atterrissons sans encombre sur le chemin carrossable de fond de vallée.
Cédric a réalisé son objectif mais reste réservé, car aborder un point dur quand la suite n’offre aucune échappatoire est assez différent.

Lundi 19 et mardi 20 juillet

Churup première tentative par la face SO.
Laurent Valbert notre routeur, nous annonce un créneau de vent faible pour ce mardi matin juste avant une perturbation orageuse qui doit s’installer dans l’après-midi. Un peu au dernier moment nous organisons cette ascension. Aujourd’hui nous devons atteindre le lac supérieur de la Laguna Churup pour y trouver notre bivouac. A 20h nous étalons nos tentes sur le sable pour un court repos de 4h. À 1h00 nous quittons le camp pour atteindre le glacier puis l’itinéraire de la face sud-ouest. C’est un itinéraire normalement coté D+ qui propose un passage IV+ en glace et des pentes à 70°. Nous sommes avertis qu’il sera plus vraisemblablement mixte avec un rocher délité. Tout se passe bien jusqu’à 5200m d’altitude. Sans être en avance nous restons dans les temps pour un saut à 10h00. Mais le « crux » rocheux calme nos ardeurs et je perds une heure pour rejoindre une neige inconsistante à la sortie des difficultés. J’ai dû grimper sur un tas de rochers verticaux heureusement scellés par le froid. Visiblement je suis sorti de l’itinéraire et je n’arrive pas à faire de relai solide. Je dois faire demi-tour et revenir vers mes camarades. Encore beaucoup de temps perdu. J’aperçois la suite de l’itinéraire plus dans l’axe mais nous n’arriverons pas dans les temps pour le saut. Le sac lourd rend difficile l’escalade d’une neige de moins en moins consistante. Conscient de notre échec à tenir les horaires prévus nous descendons en rappel vers le camp. Nous sommes un peu abattus par cette tentative avortée. Les difficultés semblent s’accumuler proportionnellement à la fatigue qui fait suite à toute cette énergie déployée pour chercher des informations, reconnaitre ou préparer nos actions. Il faut d’urgence que nous organisions intelligemment les 8 jours qui nous restent sur Huaraz si nous voulons réussir à sauter depuis un sommet de la cordillère blanche.

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Notre activité, le paralpinisme, consiste à grimper des itinéraires d’alpinisme pour accéder à de potentiels sauts en haute montagne. Cette combinaison d’activités rend l’entreprise délicate car il faut faire des compromis. Accepter d’avancer plus lentement à la montée et accepter des performances amoindries lors du vol. Pourquoi ? à cause du poids.
De plus, coupler alpinisme et base-jump additionne les aléas de ces 2 activités. A l’incertitude de l’alpinisme se rajoutent les conditions aléatoires de l’aérologie et la nécessité d’une verticalité pour sauter et voler. L’itinéraire de montée doit être en condition pour que la vitesse de progression et notre sécurité soient suffisantes. Et à la fatigue physique se rajoute la fatigue mentale. Grimper de nuit, s’exposer au froid, au vent et aux dangers objectifs comme les séracs, les corniches ou les chutes de pierres au levé du jour, demande concentration et lucidité pour prendre les meilleures décisions, parfois même dans l’urgence. Dans un contexte d’expéditions, l’éloignement et l’absence de secours rajoute une tension. Il faut donc analyser, dans la mesure du possible, ces éléments pour décider des meilleures options.
Le poids (sacs de 15kg par personne comprenant le parachute, la combinaison de vol et les accessoires de paralpinisme) est supérieur à la charge classiquement emportée en alpinisme. Ce poids change l’équilibre du grimpeur, il tire en arrière dans les parties verticales au risque de le faire basculer. Quand la neige est inconsistante et que les piolets n’offrent plus de retenue suffisante, l’escalade devient complexe. Au Pérou l’air est sec et la neige des faces sud (qui dans cet hémisphère ne voient pas le soleil) prend la consistance du sucre. Grimper une face sud est donc plus engagé qu’une autre exposition.

Mercredi 21 juillet

Les prévisions météo sont mauvaises en altitude pour les 4 prochains jours. Vent, nuages et averses orageuses. De toute façon nous devons nous reposer pour l’ultime tentative. De son côté Magno, grâce à son réseau de guides du Pérou, nous apporte une information intéressante. Un collègue s’est rendu au sommet du Churup par l’arête E il y a environ 2 ans. Grace à quelques informations nous constatons que cette option pourrait rendre l’ascension moins dépendante des conditions. Sur ses photos il y a beaucoup moins de neige que ce que nous voyons en ce moment. Il a dû la parcourir en fin de saison sèche.

Après maintes réflexions nous décidons de tenter le coup par cette arête qui n’a jamais été trop reprise. Nous savons que ce guide a mis 8h pour l’ascension depuis le lac supérieur. De plus nous voulons assurer le coup et laisser la possibilité de 2 créneaux de saut. Un le soir après l’ascension et un second le matin après un bivouac proche du sommet. Après 4 semaines de présence dans la région nous avons clairement observé que la masse d’air est calme le matin mais active longtemps en fin d’après-midi. Il y a donc peu de chance que nous puissions sauter le soir. Nous allons prendre avec nous les duvets, une tente, deux matelas pour trois, un réchaud et un repas lyophilisé et nous préparer un beau bivouac au sommet du Churup !

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Dimanche 25 juillet

Ascension du Churup.
Il est 5h00 du matin quand le taxi vient nous récupérer devant le gite. Il faut 40min pour rejoindre le début de la marche. Pour mettre toutes les chances de notre côté nous avons demandé à des porteurs de monter nos sacs jusqu’au lac supérieur. Ce petit bonus nous permet de nous échauffer à vide et en baskets sur les 800 premiers mètres de dénivelé. À 8hoo nos sacs se retrouvent sur notre dos et la cadence a largement diminuée. Du lac à 4600m d’altitude il n’y a plus de piste et c’est en montant droit dans la moraine instable que nous cherchons l’itinéraire le plus direct pour atteindre l’arête. Après une centaine de mètres dans la neige nous atteignons une brèche qui marque le début des difficultés. 5 mètres au-dessus dans un mur vertical nous voyons un piton cassé qui pend à une vieille cordelette et un autre piton plus haut. Je décide de partir plus à gauche dans un rocher compact en espérant réussir à protéger mon escalade. Après 10m de 6a/b je dois remettre mes crampons pour utiliser des plaquages et 30m plus haut je dois faire un relai car nous n’avons pris qu’une corde gully de 60m que j’utilise ici à double. Oui, le minimalisme reste une obligation pour espérer tenir l’horaire ; nous ne sommes partis qu’avec le strict nécessaire.
Ce gendarme rocheux et long et soutenu, il nous occupera 2 heures d’escalade. Au sommet nous devons tirer un rappel de 30m pour reprendre pied dans la neige. D’ici l’escalade est mixte et reste sur le fil de l’arête. Le rocher est globalement mauvais mais ne sera clairement dangereux que par deux fois seulement. La première fois dans du rocher rouge je déclenche un petit éboulement en évitant le fil de l’arête, la seconde fois c’est sur l’arête même, dans un enchevêtrement de blocs gris et verticaux que nous passons le plus légèrement possible sans pouvoir mettre une quelconque protection. Après ce passage délicat d’une quinzaine de mètres de haut l’arête devient plus classique. Malgré un nombre de pauses limité il est 17h00 quand nous sortons au sommet de la montage Churup. Du sommet, en regardant à l’ouest, nous voyons cette selle neigeuse descendante formée par les accumulations et qui nous offrira une place parfaite pour un bivouac trois étoiles. Natacha a aussi installé son bivouac dans la vallée Cojup où nous souhaitons atterrir. En prenant contact avec elle par radio nous apprenons qu’il n’y a plus de vent dans la vallée. Mais le soleil a quitté la face ouest du Churup et ce n’est qu’un petit thermique de restitution que nous trouvons le long du mur. Conscients de la difficulté du saut nous préférons attendre le soleil qui chauffera la face en milieu de matinée et qui pourrait nous offrir une aérologie plus avantageuse pour un saut vers 10h.

Matériel utilisé :
– 4 pitons, 3 cablés, sangles
– Alien noir et bleu
– Camalot #0.4 à #2
– 3 broches moyennes
– 2x60m de corde pour descendre par les rappels de la face s-o.

Lundi 26 juillet

Saut du Churup.
Après une nuit de sommeil en pointillés, nous sortons de la tente pour préparer le saut. Quand de son côté Cédric prépare le petit déjeuner, François rassemble toutes les affaires pour préparer le sac avec lequel il sautera. François sera le « porteur » lors du saut et cela permettra à Cédric et à moi de sauter en wingsuit sans avoir à nous occuper des affaires de bivouac et d’une partie du matériel technique. Je prépare une saignée dans une corniche pour fixer le rappel qui permettra l’accès au saut.

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La prise de mesure permet de confirmer ce que nous avions relevé du bas de la paroi : 270m de verticale puis un terrain qui, 400m en dessous, avance de 220m. Il s’en suit une longue partie qui nous semble plate vue du haut mais qui est incliné à 30° d’après nos mesures prises lors de la reconnaissance.
À 9h00 François s’élance avant que la masse d’air ne devienne trop active pour un vol sous voile ouverte. Depuis le milieu de la nuit le vent s’est mis à souffler plus fort qu’annoncé. À l’exit, à précisément 5415m, il vient du côté droit (NE) et marque de bonnes rafales. Plus à droite une longue arête fait obstacle aux rayons du soleil tout en nous plaçant sous le vent dominant. À 9h30 des nuages commencent à masquer le soleil et montrent que même si le vent est irrégulier à l’exit, il est bien établi 300m plus haut. Natacha et François mesurent maintenant une brise de plus de 20kmh au posé. Avec Cédric il nous reste nos crampons, un piolet, une corde et suffisamment de matériel pour ne pas être bloqués. Nous comptions sauter au soleil et aidés par du thermique, malheureusement la météo en a décidé autrement. Plus nous attendons et plus forte sera la brise dans la vallée. A 10h10 nous prenons la décision de sauter car nous pensons que c’est le moment le plus opportun. La prise en charge de nos combinaisons dans l’air tarde à arriver, plus bas que moi Cédric doit ouvrir son parachute pour ne pas se retrouver trop près du sol. Pour ma part je prends mes appuis à une hauteur suffisante pour continuer mais avec la fatigue, l’engoncement et le poids, un grand vol droit au-dessus du relief me contentera. Très haut à la verticale du champ d’atterrissage j’ouvre mon parachute. Un coup d’œil en arrière et je vois Cédric qui se dirige par ici. Parfait. Ce n’est pas le vol de l’année mais si les gps ont fonctionné nous pourrons alors constater l’influence de l’altitude sur le vol.

Les courbes relevées montrent que j’ai une trajectoire quasi identique à Varan (2500m en vallée de l’Arve) et au Churup à presque 5500m. Même si je ressens que mon domaine de vol est plus restreint en altitude je ne reste pas moins étonné du résultat chiffré. Il est cependant difficile de comparer la mise en vol au Churup et à Varan. Quand à Varan je laisse voler ma wingsuit, au Churup je force ma combinaison à partir plus tôt et insiste pour aplatir ma trajectoire. Il en ressort tout de même que l’aérologie prime sur l’altitude. Il vaut donc mieux sauter dans un air calme à 5000m que dans un air descendant à 3500m. Cette remarque nous sera utile pour la suite.

Si on regarde en détail, c’est à -100m et -200m sous l’exit que le manque d’appuis se fait ressentir. Plus loin dans le saut la vitesse vient compenser ce manque. Malgré tout il faudra se méfier car, en toute logique, la vitesse de décrochage sera plus élevée qu’en basse altitude. Il faudra donc veiller à ne pas trop ralentir.

Autre remarque, à plus haute altitude mais à charge égale, nos voiles volent plus vite et l’arrondi est moins bon. Il faut donc s’assurer de trouver un posé correct, ne pas choisir une voile trop petite pour ce type de saut et mieux, choisir un moment où une brise permet de se poser face au vent.
Nos voiles, des « Rise 240 » de chez AdrenalinBase, ont été adaptées aux 2 derniers sauts dans la brise, par contre lors du premier saut l’atterrissage a été plus violent car il n’y avait pas de vent sur le zone de posé. Pour information, sur le saut de Parón, alors qu’il n’y avait aucun vent dans la vallée, les voiles volaient à 42km/h. Sur la mise en survitesse aux avants de sa voile, Cédric a atteint 55kmh avant l’arrondi final. Cette zone de posé était à 3800m d’altitude.

Malgré le saut synonyme de réussite du projet nous restons un peu perplexes car nous avons eu à prendre un grand nombre de décisions et il serait prétentieux de croire que nous les avons toutes rationnalisées. Nous pensons souvent disposer d’une marge confortable mais, en pratique, il s’avère que le temps dont on dispose est restreint. Pour le saut par exemple, Cédric pensait disposer d’un peu moins de 10 secondes pour évaluer la qualité de sa mise en vol. Mais entre la découverte d’un nouveau visuel, confirmer ou infirmer les sensations ressenties, puis décider d’exécuter le geste d’ouverture du parachute, il n’a eu que deux secondes pour réagir. Analyse identique quant à l’évaluation des conditions aérologiques au moment du saut. Certes nous disposons des informations à l’atterrissage, mais comment définir le meilleur moment ? et ces problématiques se retrouvent en alpinisme aussi : attendre les bonnes conditions ou y aller maintenant ? engager ou densifier la pose de protections au risque de se retrouver plus haut sans le matériel nécessaire ? contourner par les crevasses ou passer sous les séracs ? quel encordement ? quel matériel ? En tout cas s’exposer à ces éléments force à écouter, analyser et réfléchir. Ces terrains et ces activités proposent un contexte qui pousse à l’humilité car l’impermanence en est la caractéristique principale.

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Mardi 28 juillet

Hatun Machay.
Il ne nous reste qu’une journée et nous voulons grimper sur ce merveilleux site avant de repartir de Huaraz. Ce sera une journée de plaisir et de calme avant un long trajet. Un dernier moment dans un paysage desséché mais superbe, où seules quelques vaches se déplacent dans de grands espaces. Il est peu probable que nous retrouvions cette sensation avant la prochaine expédition. Encore une dernière heure de calme et il faudra retourner chez nous, dans la vallée où le moindre mètre carré d’herbe est proposé à la vente d’une urbanisation galopante…

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Conclusion :

Nous étions venus pour répéter le saut de la face S du Huandoy mais, à une altitude sensiblement identique, découvrir un nouveau saut au Churup fût une magnifique surprise. Comme nous aimons le dire au GMHM, partir en « expé » c’est un peu comme ouvrir un cahier vierge et en écrire les lignes. C’est avant tout dans un esprit d’aventure que nous aimons vivre, et vivre l’aventure c’est s’ouvrir à l’inconnu.

Arnaud

Partenaires

Millet

Partenaire matériel et habillement et partenaire des MXP.

Le nom Millet devient célèbre dans les années 30 avec les premiers sacs à commissions munis de bretelles. Adapté quelques années plus tard au sac à dos, l’idée signe rapidement le succès de la marque française. Le développement de produits techniques pour la montagne apporte à la marque une forte image, renforcée par la signature des meilleurs montagnards de leur génération.

Julbo

Partenaire pour les lunettes et masque de haute montagne.

Julbo est avant tout une marque aux choix techniques reconnus. La marque jurassienne s’appuie sur ses concepteurs/designers pour la création de ses gammes de produits, des lunettes de soleil aux lunettes optiques en passant par les casques et masques. Julbo maîtrise l’ensemble du processus de fabrication : conception assistée par ordinateur, atelier de mécanique pour créer ses propres outillages, moules et pièces…

Tingerlaat

Partenaire pour les produits de protection solaire.

Tingerlaat a été conçu spécifiquement pour tous les passionnés de sport qui exposent leur peau à des conditions climatiques extrêmes lors de la pratique de leur activité sur neige, sur eau, sur terre, dans l’air. L’objectif est d’apporter des innovations technologiques adaptées aux besoins actuels de la peau des sportifs.

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Partenaire pour la technologie mobile outdoor.

Des smartphones étanches, résistants et endurants, ils répondent parfaitement aux besoins des alpinistes du Groupe grâce à une autonomie incomparable. Lors des deux dernières expéditions qui ont eu lieu au nord du cercle polaire arctique, le Groupe Militaire de Haute Montagne a embarqué le smartphone TREKKER-M1 et l’a utilisé dans les conditions les plus extrêmes.