Retour aux sources :
Après deux hivers sans grand voyage Alpin, cette année je suis bien décidé à prendre un ticket. Les yeux fixés sur le petit écran que l’on appelle smart phone, qui en un mouvement de pouce vous donne un bulletin météo à 15 jours !
Nous sommes début Mars et toujours pas de fenêtre de beau. Au lendemain de notre stage d’aspirant guide, avec un terrible mal aux cheveux quelque chose semble se dessiner… Lundi les mots de Yan (notre routeur à Météo France) sont clairs : « là il faut y aller les gars !!! ». Mes bronches et ma gorge me rappellent que j’ai trainé trop tard et trop légèrement vêtu sous la neige ce week-end. Tant pis, 7 jours de beau, ça ne se refuse pas !
Pierre Labbre et Max Bonniot sont très motivés. Tentés par une aventure au long cours nous nous orientons vers l’une des plus célèbres parois des Alpes : La face Nord de l’Eiger. Sa voie Harlin qui raye la face telle un fil à plomb depuis le sommet nous attire. Elle n’a été parcourue en hiver qu’une seule fois en style Alpin et sans sa sortie originale ou très peu d’infos sons disponibles. En tant que perfectionnistes à l’égo bien développé nous souhaitons bien sûr la grimper dans son intégralité.
Deux jours pour préparer 47 longueurs d’escalade. Nourriture, coinceurs et doudounes pour 7 jours en paroi sont pesés puis entassés dans nos deux gros sacs de hissage. Mercredi 9 Mars, nos affaires sont au pied de la voie et nous bivouaquons à la station Eigergletscher. Dans la nuit après une petite journée de portage dans cette air sec d’hiver ma toux s’accentue. Je ne dors pas bien et gêne les autres par la même occasion. Chacun dans sa tête se demande si c’est une bonne idée de partir. Je ne suis pas en grande forme et il y a 70 cm de poudreuse dans la face. Le réveil coupe court à nos interrogations. Le rituel du lever prend le dessus : réchaud, thermos, céréales puis sac sur le dos.
Le début n’est finalement pas en si mauvaise condition. Nous alternons entre longueurs raides où nous hissons les sacs et longueurs plus classiques où nous les portons. Je ne sais pas laquelle des deux versions est la moins fatigante finalement.
Le premier bivouac est très confortable. Mais vers 20h de petites coulées de neige descendent de la face, nous trempant le duvet. Pierre perce aussi son matelas. Pour lui une belle semaine à dormir sur les cordes se dessine…
En hiver pour un projet pareil on en revient à l’essentiel : passer longueurs après longueurs sans se faire mal. On ne se préoccupe plus du style. Tout est bon pour se hisser plus haut. Nous grimpons tantôt avec les piolets, tantôt avec les mains. Quand un piton est là nous nous y agrippons. Parfois il n’y rien en place et il faut s’engager fortement dans ce rocher friable. On retrouve le sens originel de l’alpinisme : aller au sommet.
Au fil des jours nous trouvons notre rythme. Nous nous relayons et trouvons nos automatismes. Fixer la corde, assurer et hisser les sacs sont notre quotidien. Seuls mes quintes de toux et ma voie qui déraille nous gênent dans notre exercice.
Au quatrième jour nous rejoignons la jonction avec la voie classique. Nous avons pris de l’avance. Il nous reste 2 bivouacs dans le sac et la météo semble vouloir tenir encore un peu. Il est quatorze heure tout va bien. Nous voulons tenter de résoudre l’énigme de la sortie originale. Seul un tracé sur une photo nous indique la direction. Jusqu’ici quelques spits et pitons nous guidaient. Mais après deux longueurs nous ne trouvons plus rien. Pressés par la nuit qui arrive Pierre cherche frénétiquement le chemin. Il s’acharne avec fureur dans un rayon de 100 m, enchainant escalade, traversée et descente dans un rocher offrant très peu de protections.
Le soleil se couche, les frontales sont déjà sur les casques. Il n’y a aucun emplacement pour dormir dans les environs. Il faut se résoudre à descendre un peu pour trouver une petite terrasse. Nous passerons cette quatrième nuit assis. Il ne nous reste qu’une journée de beau temps. Nous sommes bien crevés. Il faut se résigner à sortir comme nos prédécesseurs par la voie classique.
Ce réveil fut plus difficile, nos gestes sont maladroits et nous laissons échapper dans le vide un casque… Les conditions à près de 4000m sont bien différentes. La glace a laissé place à une neige pulvérulente. Des longueurs habituellement débonnaires requièrent toute notre attention pour grimper avec tout notre barda. Enfin en début d’après midi la pente se couche pour laisser place à la magnifique arête sommitale. Nos pieds en équilibre sur le fil au milieu de volutes de neige nous amènent au sommet. Enfin la récompense ! Une semaine passée sans autre cordée dans la paroi, sans autre trace, guidé par une seule photo et quelques bout de ferrailles et les aspérités de la roche.
Epuisé et toussant plus que jamais je n’ai qu’une image en tête : celle de l’aventure de l’alpinisme primaire, une sorte de retour aux sources.
CCH Ratel